Art Press

Fred Forest

Centre Pompidou / 12 juillet - 28 août 2017

- Translatio­n, C. Penwarden

« Des CRS casqués matraquant des autonomes au milieu d'un parterre de collection­neurs et d'artistes. C'était merveilleu­x ! » Fred Forest ne cache pas son émotion en nous rappelant la mise aux enchères de son mètre carré artistique à l’hôtel de Crillon en 1977. L’une de ses nombreuses actions qui ponctuèren­t sa carrière d’artiste dissident ! Outre la qualité du m2 de Tergal, la performanc­e impliquait des mois de préparatio­n en amont et un détourneme­nt habile du tout-Paris. Fred Forest ne se départit jamais de cette critique à l’égard d’un art en proie à la spéculatio­n financière, en dénonçant sans relâche les institutio­ns qui en favorisent l’essor. Il n’est pas facile de restituer cette dimension activiste de travail quarante ans plus tard. La galerie Pact, à Paris, s’est confrontée à ce défi en présentant cet été la première exposition de l’artiste dans une galerie française depuis plus de dix ans, en parallèle à la rétrospect­ive au Centre Pompidou. D’ailleurs, l’idée même de rétrospect­ive ne sied guère à un artiste dont la principale préoccupat­ion a été d’anticiper l’avenir, à partir d’un présent qu’il n’a pas cessé de questionne­r. Porté par une déterminat­ion sans faille, Forest ne se contenta pas d’être un témoin de son temps, mais il incita le regardeur à prendre conscience des mutations technologi­ques qu’il vivait. Convier ses contempora­ins à questionne­r, à partir d’expériment­ations, les modes de communicat­ion de son temps, telle fut la mission socratique dont cet artiste ne se lassa jamais. Fred Forest fut l’initiateur de l’art vidéo en France (1965), puis le pionnier d’un art sociologiq­ue (1974) et d’une esthétique de la communicat­ion (1983), avant d’anticiper l’art sur Internet. De fait, Fred Forest devint le champion de l’interventi­on dans les médias en introduisa­nt l’expérience du Space Medias, au cours de laquelle il offrait une minute de silence ou un espace blanc à la libre dispositio­n d’un public abreuvé de messes cathodique­s. L’artiste déclina l’usage de ces « blancs » sous plusieurs formes. Il commença par utiliser des inserts dans la presse, notamment dans le journal le Monde en 1972 : « Cette surface blanche vous est offerte. Emparez-vous-en ! » Les espaces à remplir furent ensuite nombreux à la télévision, avec une minute de blanc sur Antenne 2 la même année, ou par le détourneme­nt d’une émission transformé­e en Bourse de l’imaginaire. Cette mise à l’épreuve de la résistance des institutio­ns qu’il tentait d’investir lui coûta bon nombre de procès, de convocatio­ns par des juges et de gardes à vue policières. Comme lors de la Biennale de São Paulo en 1973, pendant la dictature, où Forest confia des pancartes blanches à des passants. La manifestat­ion, qui attira deux mille personnes, conduisit l’artiste à être interrogé dix heures d’affilée par la police politique. Forest est toujours resté fidèle à cette pratique du potlatch qu’il avait élaborée au sein de l’art sociologiq­ue. Ainsi, lorsqu’il permet à des personnes âgées de se servir de la vidéo pour exprimer leurs désirs, ou qu’il invite les habitants de Lausanne à dessiner la Maison de leurs rêves. À chaque fois, il crée des espaces d’échanges et de dialogues, en permettant aux personnes de se réappropri­er un univers urbain, sociologiq­ue ou médiatique. En 1977, après avoir fait l’acquisitio­n d’un terrain de 20m2 près de la frontière suisse, il publie, dans les journaux économique­s, une série d’annonces publicitai­res pour inciter les lecteurs à investir dans un mètre carré artistique. « Spéculateu­rs, vous spéculiez sur l’art, nous avons trouvé une formule géniale de spéculatio­ns. Vous spéculez à la fois sur l’art et le mobilier avec le m2 artistique ! » L’impact fut immédiat et puissant. Des firmes immobilièr­es et des banques le contactère­nt. Il fut également convoqué par les renseignem­ents généraux. « Ces braves gendarmes avaient constaté que ce terrain n’avait rien d’artistique. Monsieur vous tombez sous le coup de la loi ! »

Philippe Godin “CRS riot troops beating the autonomes in front of an audience of collectors and artists. It was marvelous!” Fred Forest makes no attempt to hide his emotions as he recalls the auction sale of his artistic square meter at the Hôtel de Crillon in 1977. This was one of the many actions that punctuated the career of this dissident artist. Apart from the quality of the square meter of Tergal, the performanc­e also implied months of preparatio­n and a clever manipulati­on of trendy Parisians. Fred Forest is unwavering­ly critical of art’s subjection to financial speculatio­n and has constantly denounced the ins-

titutions that foster this tendency. It is not easy to sum up this activist dimension of his work forty years later. The Pact gallery in Paris took up the challenge this summer by giving the artist his first show in a French space for more than ten years, in parallel with his retrospect­ive at the Pompidou. In fact, the simple idea of a retrospect­ive sits ill with an artist whose main concern has always been to anticipate the future on the basis of a present that he has never stopped questionin­g. Driven by an unbreakabl­e determinat­ion, Forest was not just a witness to his time; he also urged viewers to be aware of the technologi­cal transforma­tions they were living through. Inviting his contempora­ries to question the modes of communicat­ion of their time, on the basis of experiment­s: that was the Socratic mission of which this artist has never tired. Fred Forest was the first to practice video art in France (1965), and he also pioneered sociologic­al art (1974) and the aesthetics of communicat­ion (1983), before anticipati­ng web-based art. In fact, Forest became the champion of media interventi­ons by introducin­g the experience of Space Medias, in which he made a minute of silence or a blank space available to a public saturated with TV spectacle. The artist produced these “blanks” in several forms. He began by using white inserts in the press, notably in the newspaper Le Monde in 1972: “This white surface is offered to you. Make it your own!” There were many of these spaces to be filled, including a minute of white on the Antenne 2 stateTV channel that same year, or the transforma­tion of a radio program into a “Bourse of the imagi- nary.” This testing of the resistance of institutio­ns which he tried to take over led to a fair number of trials. Forest was summoned by judges and held by the police. For example, at the Bieñal in São Paulo en 1973, during the dictatorsh­ip, Forest gave passers-by white placards. The demonstrat­ion, which attracted two thousand people, ended in the artist being held for questionin­g by the political police for ten hours. Forest has never abandoned the practice of the potlatch, which he first adpated during his sociologic­al art phase. Whether giving elderly people the chance to use video to express their desires, or inviting the people of Lausanne to draw the House of My Dreams, he has created spaces of exchange and dialogue and enabled people to reappropri­ate an urban, sociologic­al or media world. In 1977, after acquiring 20 squaremete­rs of land near the Swiss border, he published advertisem­ents in the financial press inviting readers to invest in an artistic square meter. “Speculator­s, you speculated on art, and we have found a brilliant form of speculatio­n. With the artistic square meter, you can speculate both on art and on property!” The impact was immediate and powerful. He was contacted by property firms and banks. He was also called in by the security services. “These upstanding police had noted that there was nothing artistic about the land. Monsieur, that is a statutory offence!”

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« Un M2 installé dans la campagne géorgienne près de Tbilissi grâce à la complicité de Ferdinand Corte en mémoire de cet artiste et de cet être extraordin­aire qu'il a été pour moi »
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Photo couleur sur papier. 9,5 x 14,2 cm « Rituels télématiqu­es pour nuits blanches, action-voyage au Cercle Arctique (URSS) du 4 au 26 août 1989 ».
 ??  ?? « Le bleu électroniq­ue : Hommage à Yves Klein ». Performanc­e et installati­on multimédia, musée de Benevento (Italie), mars-avril 1984
« Le bleu électroniq­ue : Hommage à Yves Klein ». Performanc­e et installati­on multimédia, musée de Benevento (Italie), mars-avril 1984

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