Vantablack
Galerie Jocelyn Wolff / 24 juin - 29 juillet 2017
Le Vantablack est une matière constituée de nanotubes de carbone gris qui coïncide avec une couleur, un noir très profond. Cette substance fragile, onéreuse et patentée, qui est en réalité une non-couleur car elle absorbe la lumière, opère à la fois comme l’ancrage et le contrepoint de cette exposition (commissaires : Erik Verhagen et Jocelyn Wolff) où elle n’apparaît pas. Contrepoint, car la couleur, au sens large, occupe une place centrale dans la pratique de chacun des artistes présentés. Ancrage, car de nombreuses oeuvres incluses ici se situent à la lisière de la peinture et de la sculpture. Située à cet endroit même, apposée sur les dégradés de noir de la peinture murale de Pieter Vermeersch, Untitled (1966) de Jan Dibbets, imposante acrylique sur toile composée de grands pans turquoise et parme qui enserrent une excroissance rose orangée, fait formellement et ironiquement écho aux récentes sculptures d’Anish Kapoor, seul artiste au monde autorisé à utiliser cette matière exclusive qu’est le Vantablack. Ici, la tension entre frontalité et profondeur que l’on retrouve dans les Interior de Dibbets, voire les expansions induites dans ses Perspective Correction, sont déjà perceptibles. Les questionnements chromatiques d’André Cadere sont eux aussi cristallisés dès ses premières peintures et visibles ici avec Untitled (1967). Mais avec la Barre de bois carrée (C) (1970) et ses travaux suivants, il parvient à anéantir effectivement la frontière entre sculpture et peinture. La collusion matière/couleur est également au coeur du propos. Dans les Terra Platonica (2013) de Francisco Tropa, élaborées à partir de feuilles de verre de Murano carrées et colorées, la couleur apparaît en tant que matériau structurant. De même, dans le travail de Claire Chesnier, où la surface s’affirme grâce à la sédimentation d’encres colorées très diluées et superposées. Deux notions majeures du travail de Franz Erhard Walther, la couleur et le corps sculpture, se matérialisent dans Sechs Ummantelungen (1998), sculpture composée de six costumes en toile colorée suspendus en ligne. Ici, comme dans de nombreuses oeuvres de l’artiste, la picturalité est interrogée sans passer par la peinture. Le corps, sa mobilité, est également à l’oeuvre à travers les coups de brosse expressifs de Miriam Cahn dans Malfreude. Lingot (2017) d’Elodie Seguin apporte un point de lumière, symbolique, au coeur de Vantablack. Cette forme et le mot qui en compose le titre renvoient à la fois à un objet, à une matière qui est aussi une couleur, tout en se distançant de ceux-ci. De cette oeuvre, de la couleur qui perce sous les noirs de la peinture de Lena Hilton – Sans titre (2015) –, du fondu vibrant du noir vers le blanc de la peinture murale de Pieter Vermeersch, qui unifie l’espace d’exposition, de la grande peinture de Dibbets, émerge la dimension politique de l’exposition : le bigarré, absolument, versus le Vantablack, le Poikilos versus l’homogénéité, la démocratie versus l’autocratie. En outre, savante et intuitive agrégation de matière et de couleurs, l’exposition induit, dès que l’on s’en détourne, une persistance rétinienne... stupéfiante.
Anne Couillaud Vantablack is a new substance composed of vertically aligned carbon nanotubes that produce the deepest known black color.This difficult-to-make and patented substance, actually a non-color since it absorbs almost all light, is both the starting point and counterpoint to this show curated by Erik Verhagen and Jocelyn Wolff, even though it never makes an actual appearance. It’s the counterpoint because color, in the broad sense of the word, plays a central role in the practice of each of the artists here, and starting point because many of the works in this show are situated at the intersection of painting and sculpture. Located in precisely this juncture and hung opposite Pieter Vermeersch’s wall painting with its shades of black, Jan Dibbets’s Untitled (1966) is an imposing acrylic on canvas made up of large swaths of turquoise and mauve tightly enclosing a pinkish-orange excrescence, a formal and ironic reference to the recent sculptures of Anish Kapoor, the world’s only artist legally authorized to use Vantablack. Here the tension between frontality and depth later seen in Dibbets’s Interiors is already perceptible, as are the expansions produced in his Perspective Correction. Similarly, André Cadere’s chromatic interrogations crystallized in his earliest paintings can be seen here in Untitled (1967). But with La Barre de bois carrée (C) (1970) and his subsequent round bars, he was able to erase the boundary between sculpture and painting entirely. The collusion between substance and color is another central theme in this show. In Terra Platonica (2013) by Francisco Tropa, made of sheets of Murano glass colored and cut into squares, color appears as a structuring material. Likewise, in the work of Claire Chesnier, the surface is emphasized by the sedimen- tation of highly diluted and superimposed colored inks. Two main concepts in Franz Erhard Walther’s work, color and the body as sculpture, are materialized in his Sechs Ummantelungen (1998), a sculpture comprised of six colored canvas men’s suits hanging on a line. Here, as in many of his pieces, pictoriality is interrogated in the absence of any picture. Miriam Cahn’s expressionist brushwork in Malfreude is also concerned with the body and its movements. Lingot (2017), by Elodie Seguin, brings a symbolic point of light to the center of this exhibition. The sculpture and the title (which means a gold bar) simultaneously refer to an object, a substance and a color, and at the same time distance themselves from these references. This exhibition’s political dimension emerges from this piece and the color piercing through the shades of black in Lena Hilton’s painting Sans titre (2015), the black shading vibrating toward white in Vermeersch’s wall piece that unifies the exhibition space and Dibbets’s large painting: multicolored versus Vantablack, Poikilos versus homogeneity, democracy versus autarchy. Furthermore, with its skillful and intuitive aggregation of substance and colors, this show produces a stunning persistence of vision, obvious the minute you look away.