Jacques henric
Olivier Cadiot Histoire de la littérature récente. Tome 2 P.O.L, 256 p., 12 euros Célestine Parrot Cahier Journal. 1892 Grasset, 176 p., 12,90 euros
Ainsi cause le poète : « La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles ; / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers. » Ajoutons que la Littérature, elle aussi, est un temple et, pour ce qui est de ses confuses paroles, nous sommes bien servis. Il m’arrive de me perdre dans sa forêt obscure et d’en sortir tâtonnant, hébété, accablé sous le poids de métaphores improbables, de comparaisons pompeuses, d’hyperboles et de prosopopées hardies. Pas plus tard qu’hier, j’ai pratiqué, au hasard, quelques prélèvements dans des romans laissés à l’abandon sur le parquet de mon bureau. Voici un bref échantillon: « Sacrifions le savoir d’une sagesse salissante à la sagacité d’une salive sacrée au risque de saborder des sanglots savants avec le sang d’une salve de Saveurs » ; « Sur le grattoir de ses prunelles l’allumette de mon attention emparadisait sa douleur… Même sablonneuses mes fesses pensaient » ; « Son visage était immense, aussi large qu’un glacier » ; « Puisque sans cesse je me gravis moi-même, je deviens mon propre escalier » (pourvu qu’il ne rate pas une marche...) ; « J’étais cette refusante aux cheveux cerise qui rallumait la vie interne » ; « La profusion est sereine. Je n’en reviens pas ». officie dans la littérature minuscule de celui qui besogne dans la Grande Littérature majuscule : le second nous avertit qu’à celle-ci il se « consacre entièrement » (heureux les « consacrés », fils de famille ou écrivains-à-résidences qui n’ont pas leur croûte à gagner !). Ce modeste manuel d’Olivier Cadiot, s’il n’est pas un nouvel Évangile, peut néanmoins servir de mode d’emploi, de vademecum, de programme, de boussole à ceux qui se sentiraient perdus sous les sombres futaies de la Littérature, il les aiderait à ne pas désespérer et à profiter éventuellement des joies simples que la banale littérature peut prodiguer. De ce signalé coup de main, pas seulement le lecteur, mais l’apprenti écrivain pourrait en faire son profit. Je l’invite à lire au plus vite les volumes 1 et 2 de cette Histoire de la littérature récente avant de se lancer dans l’aventure. « Rendre les choses les plus claires possible dans le noir », conseille Olivier Cadiot. « Drôle de programme. […] Mais ce n’est pas si simple. » Et déjà, conseille-t-il, se méfier du mot « écriture » qui fit florès dans nos jeunesses avant-gardistes. Autre constatation d’évidence : personne n’est obligé de se « consacrer » à l’écriture. On vit très bien sans. Comme mes voisins viticulteurs qui font un excellent Côtes du Roussillon, ou les jeunes que je vois se préparer à une belle carrière de boxeur, ou le plombier d’Olivier Cadiot connaissant la joie de s’y retrouver dans un complexe problème de tuyaux. « Enlever les costumes, jeter les mythes qui ressemblent à des manteaux trop larges, se peindre nu, sortir du scénario, s’extraire du labyrinthe… » Je crois entendre le grand poète chilien Nicanor Parra, congédiant Nymphes, Tritons, Dieux, Muses. À l’Écrivain majuscule qui, se regardant avantageusement dans le miroir qu’est l’écran de son ordinateur, hausse le ton, Olivier Cadiot rappelle : « La littérature n’est jamais orale ; le livre parle tout seul, sans bruit, de son côté. » Je parlais de boxe, écrire devrait être aussi un sport, le corps a son importance, autant que l’esprit. Notre his- torien de la littérature contemporaine a appris à en repérer les déficiences dans les livres. Mauvais signe, selon lui. « À une mauvaise tournure de la phrase, on voit que l’écrivain a une courbature aux lombaires et un léger trouble à l’oeil gauche. » Doit-on conclure que la littérature a disparu du fait que l’Écrivain, trop attentif à son image, manque d’exercice physique ? Pas vraiment, nous rassure Cadiot. Sauf que les grands thèmes, les grandes idées, les grandes causes, si chères au Grantécrivain, ont du plomb dans l’aile : « Fin des Grands récits. La lutte des classes aux chiottes. La civilisation, le progrès, c’est mort ». Sauf que des brigades de simplificateurs sont appelées à traduire « tous les livres compliqués en langue normale ». Olivier Cadiot prévoit pour Joyce, notamment, un gros chantier. Parvenu à la fin de son programme de « dégrisement » de la littérature, il en arrive à conclure que tout lecteur et tout professionnel de la critique littéraire n’ont qu’une question à se poser : qu’en est-il de la différence entre « un bon et un mauvais livre » ? Je vous laisse le soin de trouver des éléments de réponse dans le chapitre « Dictaphone » et me contente de vous donner un exemple d’un bon, très bon livre : d’Olivier Cadiot, Histoire de la littérature récente (tome 2). Un autre exemple m’arrive entre les mains, inattendu, singulier. Son auteur a à peine 13 ans. Une écolière, Célestine Parrot, fille de vignerons, née en 1879 à Lods, village du Jura. Christophe Bataille a retrouvé dans la maison familiale son Cahier Journal (présenté par Michèle Perrot). Un émouvant document dont Grasset publie le fac-similé : année 1892, les dictées de Célestine, ses exercices de calcul, ses rédactions, d’une belle écriture penchée, à la plume, dont on a perdu le secret depuis longtemps. Ces rédactions sont autant de courts récits de la petite campagnarde qui, sans avoir lu Olivier Cadiot, écrit une belle prose « infra-ordinaire ». Pas une faute d’orthographe, de syntaxe, de conjugaison. Modèle à proposer aux Écrivains à miroir lourdement emperruqués. Sujet de rédaction : « Le tirage au sort à la campagne. » « Plan ! Rataplan ! C’est le rappel. Aujourd’hui a lieu au chef-lieu de canton le tirage au sort. Les conscrits sont bientôt réunis sur la place du village avec leurs parents et amis. On se compte. Un sergent improvisé fait l’appel ; puis en avant ! Rataplan ! La petite troupe s’ébranle, drapeau en tête, marchant au pas, au son du tambour. Et l’on fait ainsi deux, trois ou quatre lieues, enfin on arrive, on fraternise avec les conscrits des autres localités… »