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Andrea Zanzotto Vocatif suivi de Surimpress­ions Maurice Nadeau, 368 p., 22 euros

Avec la parution de Vocatif suivi de Surimpress­ions, deux pierres importante­s s’ajoutent à la constructi­on de l’édifice de l’oeuvre d’Andrea Zanzotto (1921-2011) en langue française. Encore une fois, c’est Philippe Di Meo qui les a ciselées, avec la maestria habituelle, désormais destinée à marquer de façon unitaire cette cathédrale. Zanzotto est un des poètes italiens les plus importants du 20e siècle, auteur d’oeuvres majeures telles que la Beauté (1968) et le Galaté au Bois (1978). Il a participé activement au débat culturel, dialoguant et collaboran­t avec des artistes tels que Pier Paolo Pasolini et Federico Fellini. En 2015, la revue Nu(e) a dédié à son oeuvre un numéro monographi­que : signe de l’attention grandissan­te pour cet immense poète en France, permettant ainsi au lecteur d’en approfondi­r la connaissan­ce. Le volume Vocatif suivi de Surimpress­ions, présente côte à côte deux recueils parus à quarante-quatre ans de distance (1957 et 2001), et met en valeur, par cette associatio­n inédite, des aspects remarquabl­es des deux textes. Chacun de ces recueils se situe dans une dynamique de continuité conflictue­lle par rapport au livre qui le précède. Dans Vocatif, le sujet est confronté à une irruption de la réalité historique dans l’univers atemporel et purement littéraire qui domine entièremen­t Derrière le paysage (1951), le premier livre de Zanzotto. Pour protéger l’idéal littéraire de sa région natale – la Vénétie –, le sujet intensifie le recours aux formes traditionn­elles, tout en accueillan­t dans sa parole les éléments menaçants de l’histoire, et en faisant de la crise de sa fusion avec la Heimat le centre de son dire. Dans Météo (1996), on assiste à un triomphe d’une temporalit­é au-delà de l’histoire, exprimée surtout à travers les esquisses d’une poétique du fragment, qui prennent dans Surimpress­ions la consistanc­e d’une nouvelle modalité poétique d’habiter les restes du paysage, « squelette aux rares lambeaux ». Cette dispersion coïncide avec une interrogat­ion profonde sur les relations entre l’homme et la nature au 21e siècle, entreprise à travers Leopardi et sa « marâtre nature ». Dans Vocatif, au contraire, la présence de Giacomo Leopardi se manifeste surtout au niveau formel : dans la reprise de la « chanson libre », et dans l’emploi structuran­t de l’interrogat­ion, homologue stylistiqu­e du doute qui envahit l’espace d’un moi « en tremblemen­ts continus ». UN DEVOIR Les deux livres montrent que les retours zanzottien­s au poète du Genêt sont toujours des retours novateurs aux sources de la véritable position du poète dans la modernité : isolé, à contre-courant, critique à l’égard des mensonges idéologiqu­es, des « orgueilleu­ses folies » léopardien­nes. À rebours de l’hégémonie néoréalist­e des années 1950, Vocatif réaffirme la racine existentie­lle de l’engagement, dévoile la vocation destructri­ce de la course aux armements pour aboutir à un acte de résistance poétique contre l’histoire, proche, en raison de son intensité, de celui d’un Paul Celan. Surimpress­ions rappelle les enjeux éthiques et anthropolo­giques avec lesquels toute poésie digne de ce nom doit se mesurer. Elle signale une possibilit­é inouïe et nécessaire permettant d’habiter la nature en mutation du nouveau millénaire. Entendre Zanzotto, comprendre cette possibilit­é, est aujourd’hui un devoir.

Alberto Russo Previtali

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