Gilbert Lascault Saveurs imprévues et secrètes Hippocampe, 288 p., 17 euros
Gilbert Lascault est l’auteur d’innombrables livres, préfaces, articles publiés depuis presque 60 ans. Regardeur attentif du surréalisme (il écrira notamment un essai fulgurant sur Max Ernst), c’est autour d’artistes qui lui sont contemporains que l’on pourrait, pour aller vite, situer son oeuvre critique et ses réflexions esthétiques – il publiera notamment des monographies sur Christian Boltanski, Robert Malaval (dans l’ancienne collection artpress / Flammarion) ou encore Gérard Gasiorowski. Mais il serait réducteur de ne citer que ces noms-ci et situer ainsi une oeuvre critique et littéraire à part, tant dans ses choix que dans son écriture, au sein de la production actuelle. Lascault est un auteur – il est difficile de faire la part entre les pluralités singulières de son écriture –, mais un auteur oblique – il n’avance pas frontalement. Ses écrits sont des lieux de circulations, des ébauches, des rêveries, des cascades vertigineuses d’images et d’apartés poétiques qui semblent sans hiérarchies. Ainsi Lascault opère-t-il par collage : un même texte peut réunir André Bre- ton, Annette Messager, Paul-Armand Gette, des volutes aériennes, H.P. Lovecraft, Raymond Roussel, Francis Bacon, les ongles du peintre Turner, ou encore quelques écrivains imaginaires. Se mêlent alors histoire(s) de l’art, récits historiques, souvenirs personnels, apartés fictionnelles et autres adresses aux lecteurs. C’est une manière de voir. « J’aime les détails [...]. On se perdrait dans les détails comme en un labyrinthe. Mais ce labyrinthe (où certes on se perd) est aussi occasion de jouissances, car devant un tableau, un paysage, un objet, et surtout en compagnie d’un être aimé et désiré, chacun jouit des détails que ses sens lui permettent de percevoir : exquises variations de couleurs, transformation lente d’une courbe, élément d’abord inaperçu mais dont, ensuite, on ne peut plus détacher le regard et qui, plus tard, vient vous hanter, obsédant. » L’HUMIDE ET LE GLAIREUX Alors, il faut saluer la réjouissante initiative des éditions Hippocampe de publier, sous le titre Saveurs imprévues et secrètes, une anthologie de textes de Lascault réunis par Camille Paulhan. Voilà un moyen simple d’entrapercevoir les paysages philosophiques et esthétiques hantés par cet écrivain trop discret. On trouvera alors des essais et des textes autour de l’humide et le glaireux dans les textes de Salvador Dalí (au titre délectable : Une Schéhérazade du gluant), un autre sur Gasiorowski et un très bel « éloge du peu » à propos de Marcel Duchamp, un éloge des courbes et une quinzaine d’autres opus. Dans son excellente préface, Paulhan note que l’oeuvre de Lascault témoignerait d’« une curiosité sans cesse renouvelée pour toutes les cartes géographiques, celles du Tendre ou celles, muettes, de la Chasse au Snark, pour les jardins et les chemins peuplés de grenouilles, de champignons ou de mousses. Enfin, ce serait sans doute une élégie discrète de l’absence, de ce qui nous manque et que nous attendons ». Lascault à une place à part dans le paysage français de la critique d’art et de l’esthétisme. S’intéressant très tôt à des artistes qui sont désormais devenus des classiques de la fin du 20e siècle, il reste pourtant parmi ceux que l’on évoque le moins. Espérons que cette nouvelle édition permettra de le rendre moins absent et qu’il continue à être l’un de ces grands passeurs qui décident, parfois, de quelques destinées.
Alexandre Mare