Serge Toubiana
Les Bouées jaunes
Stock, 160 p., 18 euros C’est un récit d’hommage et d’amour, un récit d’amour sous forme d’hommage: l’écrivain Emmanuèle Bernheim, prix Médicis pour Sa femme (1993), auteure notamment du Cran d’arrêt (1985), est morte en mai dernier, victime d’un cancer du poumon, et son compagnon, Serge Toubiana, revient sur 28 ans de vie commune. C’est poignant. Il n’élude rien des circonstances de la disparition de sa compagne, pointe son courage dans les derniers moments, son « stoïcisme », sa « sérénité », sa force de caractère. Claude Lanzmann, qui vient voir son amie à Bichat dans les derniers jours, ressort « ébloui » par l’attitude d’Emmanuèle: « Calme et presque gaie, conciliée avec l’inéluctable. » Écoutons Toubiana: « Elle acceptait l’idée de bientôt mourir. Elle avait renoncé à se battre, et son énergie s’était transposée ailleurs, dans l’acceptation lucide de son sort. Elle demandait à tous ses visiteurs de prendre soin de moi – elle attendait que je sois dans le couloir pour le leur formuler. Elle se fixait une date audelà de laquelle tout cela devait s’arrêter, ayant pris la décision de hâter le cours des choses. À quoi bon s’éterniser me disait-elle? » L’ancien directeur des Cahiers du cinéma et de la Cinémathèque française ouvre son album de souvenirs : « la maison du bonheur » dans l’île aux Moines, les baignades d’Emmanuèle qui longeait une ligne délimitée par des bouées jaunes, les amis du couple, les promenades avec l’écrivain. Mais surtout, il livre un merveilleux portrait de l’artiste, fouillant ses livres mêmes, les citant. Le voici devenu l’exégète subtil de l’oeuvre de celle qui partagea sa vie. Il donne envie, une fois ce beau récit refermé, de plonger sans attendre dans notre bibliothèque et de relire Stallone (2002) ou Un couple (1987). C’est le tour de force. Les écrivains ne meurent pas.
Vincent Roy