Jean-Michel Mension
La Tribu
Allia, 208 p., 18 euros Fondateur aux côtés de Guy Debord et de trois complices de l’Internationale lettriste, dont il fut exclu dès 1954 par manque supposé d’implication, Jean-Michel Mension (19342006) fut un insubordonné majeur. Dans la Tribu, livre d’entretiens menés par Gérard Berréby et Francesco Milo, publié en 1995 et réédité aujourd’hui dans une très belle version augmentée – iconographie remaniée, ajout d’un dossier sur le scandale de Notre-Dame et d’un autre entretien, avec Pierre-Joël Berlé, voleur compulsif ayant échappé à la prison en s’engageant dans la Légion –, Mension, dit Alexis Violet, livre un témoignage précieux de ses années de révolte, d’alcool, et d’amitié avec Wolman, Guibert, Berna, Straram, Dufrêne, Feuillette ou Chtcheglov dans les rues attenantes au boulevard Saint-Germain, « où, selon Debord, le négatif tenait sa cour ». Mension, c’est la bande ahurissante du bistrot Chez Moineau, le compagnonnage avec le situationnisme, l’engagement dans la LCR, et, en octobre 1961, cette inscription sur les quais de la Seine : « ICI ON NOIE LES ALGÉRIENS ». Autre déclaration reproduite en début de volume: « Il faudrait aussi abolir les porteurs d’uniformes, les filles de plus de quinze ans encore vierges, les êtres réputés sains et leurs prisons. » Échapper aux flics, vivre libre, boire avec Debord toute la nuit, lire Rimbaud à fond, fréquenter les pires des pires, provoquer les bourgeois, voilà Mension, adepte de l’art du dépassement de l’art. Sa femme Éliane ? « Quand elle avait une crise de propreté, elle lavait ses culottes dans le caniveau. » La Tribu, c’est grand, sauvage, ivre mort. Ce sont aussi les photographies du sublime Ed van der Elsken, l’époque du soulèvement de la jeunesse, de la bave et de l’éternité.
Fabien Ribery