Géraldine Schwarz
Les Amnésiques
Flammarion, 352 p., 20 euros Les récents succès électoraux de l’extrême droite en Allemagne interrogent plus qu’ailleurs. Franco-allemande, la journaliste Géraldine Schwarz s’appuie sur son histoire familiale, aussi pénible qu’ordinaire, pour étudier la transmission de la mémoire historique dans les générations de l’après-guerre. Ce n’est pas par conviction que son grand-père acquiert à bas prix l’entreprise d’un industriel juif exproprié par les nazis, mais plutôt par absence de conviction contraire, et une conscience bien entendue de ses intérêts. À son retour après-guerre, Hannah Arendt sera horrifiée par le « manque généralisé de sensibilité » de ses compatriotes. Le récit nuancé de Schwarz, fondé sur toute l’empathie qui a manqué à son aïeul, dresse un tableau accablant de la paresse intellectuelle de ces Mitläufer, ou « suiveurs ». Bien plus marqués par la défaite de l’Allemagne que par la révélation des atrocités nazies, nombre d’Allemands se complaisent dans l’auto-apitoiement, enviant les juifs exilés, peinant à se détacher de l’idéologie du Lebensraum et de leur fascination pour la figure charismatique du Führer. Nourri de documents et d’enquêtes de l’auteure, le récit retrace le parcours des protagonistes avant de se prolonger dans la France, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie contemporaines, où la survivance d’un nationalisme autoritaire et un certain déni de l’histoire accompagnent l’essor de nouveaux mouvements populistes. Les résultats en sont, on s’en doute, inquiétants. On peut cependant reprocher à l’auteure l’attention presque exclusive qu’elle porte aux discours explicitement xénophobes; en éteignant le goût de la démocratie, les pratiques récentes de certains gouvernements libéraux pourraient bien menacer celle-ci plus gravement que les partis d’extrême droite.
Laurent Perez