Jean-Paul Civeyrac
Rose pourquoi
P.O.L, 124 p., 13 euros Jean-Paul Civeyrac est un cinéaste rare, auteur d’une poignée de films brillants, noirs et d’une infinie délicatesse – Ni d’Ève ni d’Adam (1997), le Doux Amour des hommes (2002), Mes provinciales (à venir). Puissance de réveil, l’art s’invite parfois dans la nuit, ainsi, lors d’une insomnie, la vision de quelques plans d’un film de Frank Borzage, Liliom (1930), montrant la rencontre à la faveur d’une fête foraine d’un séducteur professionnel et d’une jeune femme qui en tombe immédiatement éperdument amoureuse. Dans Rose pourquoi, texte au titre inspiré du Pèlerin chérubinique du mystique Angelus Silesius (« La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit… »), Civeyrac cherche à comprendre les raisons d’un éblouissement, de la persistance d’une image trouant le temps comme une révélation. Deux êtres protégés par un halo, une île enchantée, l’évidence d’une beauté prodigieuse en noir et blanc, un silence intérieur qui met les larmes aux yeux. Ce que ressent le cinéaste face à l’énigme de cette séquence est de l’ordre d’un coup de foudre, dont son livre tentera d’approcher le secret, soit l’éclair passant entre deux acteurs, un réalisateur et un spectateur, fondant dans le tremblement de chacun une communauté de solitaires. Reprenant les photogrammes de la scène se déroulant dans un échange de regards et de paroles simples entre les deux protagonistes, à l’écart du tumulte des manèges, Civeyrac analyse l’instant où Julie (Rose Hobart) bascule, entre désir et angoisse, moment inouïd’ im personnalisation relevant d’une « extase muette ». Ce lever épiphanique bouleverse quiconque cherche dans la fréquentation des oeuvresl’ approfondissement du mystère de l’expérience de vivre pleinement ce qui le traverse en le réinventant.
Fabien Ribery