Lafayette Anticipations
Anaël Pigeat
Lafayette Anticipations ouvrira le 10 mars prochain au 9, rue du Plâtre, au coeur du Marais, dans un bâtiment réinventé par Rem Koolhaas, dont c’est la première intervention à Paris. Des artistes y seront accueillis pour mener à bien des projets dans l’esprit du programme de préfiguration qui a cours depuis 2013, et qui était placé sous le signe du collectif. Ce programme a donné son nom au lieu: Lafayette Anticipations.
Il y a quelque chose de l’ordre du manifeste dans le fait d’installer Lafayette Anticipations au coeur de Paris. À l’heure où la ville se vide et se muséifie, cette structure présidée par Guillaume Houzé et dirigée par François Quintin, qui regroupe la Fondation d’Entreprise des Galeries Lafayette et le Fonds de dotation Famille Moulin, veut être un lieu de travail et de production. Construit en 1891, ce bâtiment qui appartenait au BHV (faisant lui-même partie du groupe Galeries Lafayette) a abrité, entre autres activités, une fabrique de chapeaux de paille, une institution pour jeunes filles et un entrepôt. Tout en conservant son caractère de bâtiment industriel de la fin du 19e siècle, par un geste invisible de l’extérieur, Rem Koolhaas l’a repensé de la façon la plus radicale à l’intérieur.
UN BÂTIMENT MUTANT
Dans un écho à la coupole des Galeries Lafayette qui fut édifiée en 1912 boulevard Haussmann, le bâtiment de la rue du Plâtre s’articule autour d’un grand vide central modulable, que l’on peut composer en quaranteneuf combinaisons à l’aide de quatre plateformes mobiles. Au centre, la structure de la «Tour des expositions » est construite en métal et en verre. Tout autour, des coursives peuvent se greffer à ces planchers ou bien s’en distancier, dessiner des scènes ou des espaces d’exposition sur une surface de 1000m2 utilisables. Les matériaux sont bruts : bois de chêne fumé dans la masse, aluminium… L’escalier principal est moulé en béton très fin, d’une seule volée avec, sur les paliers notamment, quelques touches d’un gris de lin qui prend la couleur du ciel, entre le mauve, le bleu et le blanc. Dans la cage de l’escalier secondaire, la rampe en caillebotis de métal reflète aussi la lumière. Au sommet, la grande verrière donne l’impression de grimper dans les nuages. Ici, l’architecture semble un discours sur l’art, hors des limites entre les disciplines, comme en témoigne la série de films de danse tournée pour montrer l’évolution des travaux au public, qui s’in- titule Mutant Stage. Ce titre reprend un mot de Rem Koolhaas pour qui l’architecture elle-même relève de la performance. Traversé par un axe piétonnier (une servitude de passage historique), Lafayette Anticipations sera accessible à la fois par la rue du Plâtre et par la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, et devrait abriter un café où l’on pourrait bien avoir envie de s’arrêter souvent, dans ce quartier très passant, non loin du Centre Pompidou et des galeries d’art. Une autre des caractéristiques de ce projet consiste à accueillir des ateliers de production destinés à des artistes : bois et métal dans les sous-sols, sérigraphie et photographie dans les étages. C’est là encore un type de décision qui se raréfie au coeur de Paris ; par exemple, faute de place, l’École nationale supérieure des Beaux-Arts a déplacé un certain nombre de ses ateliers à Saint-Ouen. Pour François Quintin, il est important que la création se passe là.
COLLECTIF
Lafayette Anticipations n’offre pas de résidences à proprement parler, mais veut tenter de construire un modèle nouveau, de proposer aux artistes un accompagnement qui se rapprocherait plus des méthodes du cinéma, de l’architecture ou du spectacle vivant que de ceux qui ont cours habituellement dans le champ de l’art. Dans cette conception, l’artiste demeure évidemment au coeur du processus créatif, mais il est entouré d’une cohorte de collaborateurs qui l’accompagne dans la production de son oeuvre. L’équipe curatoriale, dirigée par François Quintin, se compose d’une équipe de commissaires vivant à l’étranger : Anna Colin à Londres, Charles Aubin à New York, et Hicham Khalidi à Louvain.
Lafayette Anticipations
(©) OMA/ Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, Paris. (Ph. Martin Argyroglo) À droite / right: Tour d’exposition avec planchers mobiles (une des 49 configurations possibles de la machine curatoriale). (©) OMA / Fondation d’entreprise Galeries Lafayette)
Ces idées avaient commencé à être mises en oeuvre depuis 2013, dans un programme de préfiguration, rue du Plâtre d’abord, puis dans un « hub » ménagé rue Saint-Croix-de-laBretonnerie. Parmi quelques exemples, c’est Petrit Halilaj qui avait été le premier invité, dans une magnifique exposition-récit qui prenait appui sur une visite dans les salles condamnées du muséum d’histoire naturelle du Kosovo. Il avait été suivi par Simon Fujiwara, qui avait préparé pendant plusieurs semaines une manifestation entre la rue du Plâtre et les salles du Nouveau Festival au Centre Pompidou, inspirée par l’histoire à la fois réelle et fictive des anciens marécages alentour, et de la construction du bâtiment de Renzo Piano et de Richard Rogers en 1977. Dans le domaine de la mode, étroitement associé à la programmation, Anja Aronowsky Cronberg, fondatrice de la revue Vestoj, avait proposé à plusieurs reprises les fantaisies malicieuses et intimes de son Salon Vestoj, ensemble de performances et de récits sur le vêtement avec la participation des meilleurs spécialistes du sujet, historiens, penseurs et créateurs. À deux reprises également, Flora Katz avait mis en oeuvre Ediathlon, projet original qui consistait à compléter Wikipedia de nouvelles présences féminines au cours d’un week-end collaboratif. Ces manifestations ont donné lieu à la constitution d’une communauté de créateurs et de penseurs qui devraient continuer de participer à la vie future de Lafayette Anticipations.
OUVERTURE
Après une « entr’ouverture » au cours de laquelle Haroon Mirza activera des pièces sonores dans un jeu avec l’architecture, l’exposition inaugurale est une invitation faite à Lutz Bacher, dont le travail a été beaucoup montré à l’étranger, par exemple à P.S.1 à New York, à la Secession de Vienne, à la Kunsthalle de Zurich, ou à l’ICA de Londres, mais jamais à Paris. Son travail a fort à voir avec une certaine discrétion, il conserve une part d’invisibilité. C’est une artiste américaine qui a commencé à travailler dans les années 1970, et dont on a longtemps ignoré l’âge et le genre. Pour se garder de commenter elle-même son travail, elle se soustrait d’ailleurs à l’exercice de l’interview. Comme le raconte François Quintin à quelques semaines de l’ouverture, son intervention sera un jeu avec l’espace : en projetant des images de plages jonchées de vestiges de la Seconde Guerre mondiale, elle jouera avec des lignes horizontales sur la verticalité centrale du lieu. Intitulée The Silence of the Sea, d’après le livre de Vercors, le Silence de la mer, son oeuvre qui sera animée par le bruit du vent, résonnera avec les menaces qui planent sur le monde d’aujourd’hui. Après une performance de Tarik Kiswanson qui occupera les lieux entre deux expositions, le programme de l’été réunira les oeuvres de dix artistes ayant été accompagnés par Lafayette Anticipations au cours des derniers mois, parmi lesquels Jumana Manna, Kenny Dunkan, Paul Maheke… Il s’agira d’un vaste accrochage d’oeuvres témoignant des inquiétudes contemporaines, dans l’esprit de Faisons de l’inconnu un allié qui s’était tenu dans les magasins Weber Métaux non loin de là au printemps dernier. Le centre ne peut pas tenir ( The center cannot hold), qui tire son titre d’un poème de Yeats en 1919, devrait donner la pleine mesure du bâtiment car sa scénographie, pensée par l’architecte madrilène et new-yorkais Andrés Jaque, consistera à modifier la configuration des plateformes plancher à plusieurs reprises pendant le cours de l’exposition.
Anaël Pigeat Lafayette Anticipations will open next March 10 at 9 Rue du Plâtre in the heart of the Marais, in a building reinvented by Rem Koolhaas, his first in Paris. The site will be a production platform where artists can conceive and carry out projects in a continuation of the spirit of the pre-launch program underway since 2013 dedicated to collective creation. This program’s name now designates a place: Lafayette Anticipations.
——— The opening of Lafayette Anticipations in the heart of Paris meets an obvious need. This private sector institution, whose president is Guillaume Houzé and managing director François Quintin, is a joint project by the Fondation d’Entreprise des Galeries Lafayette and the Fonds de Dotation Famille Moulin. At a time when the city is in danger of losing its population and becoming a museum, its mission is to provide a site where artists can work. The original building, constructed in 1891, belonged to the department stores group BHV (owned, in turn, by the Galeries Lafayette group). Over the years it housed a straw-hat factory, a girls school and a warehouse. Architect Rem Koolhaas’s rehabilitation design preserved the nineteenth-century building’s industrial charm by keeping its elegant façade and making his radical restructuring of the interior invisible from the outside.
A MUTANT BUILDING
In an echo of the dome of the Galeries Lafayette department store built on Boulevard Haussmann in 1912, the building on rue du Plâtre has a large central courtyard whose space can be reconfigured in forty-nine different ways using four mobile platforms. In the middle is a metal and glass “exhibition tower.” The walkways surrounding it can be connected to the mobile platforms or left unattached, so as to create performance stages or exhibition spaces with 1 0,000 square meters of usable surface. The unfinished construction materials include deep smoked oak and aluminum. The main stairway, a single fight of stairs, is made of delicately molded concrete with a few touches of linen gray, especially on the landings, taking on the color of Paris skies, somewhere between mauve, blue and white. The metal grating of the secondary staircase also reflects the light. The large skylight overhead creates the impression of climbing
into the clouds. The building’s design seems to be a discourse on art, advocating no walls between disciplines. This feeling is also produced by Mutant Stage, a series of dance films made to demonstrate the building’s evolution while it was under construction. The title borrows a phrase by Koolhaas, who speaks of architecture itself as a performance. Traversed by a pedestrian walk (an historic right of way), Lafayette Anticipations will be accessible from both Rue du Plâtre and Rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. It will house a café where passers-by can spend a pleasant moment in this busy quarter not far from the Pompidou Center and many art galleries. The building’s main function will be to provide studios for artists working in wood and metal in the basement, and silkscreen and photography on the upper floors. This option is becoming increasingly rare in Paris as space becomes more expensive. The national fine arts school, for example, recently moved some of its of studios to the suburb Saint-Ouen. Managing director Quintin considers the venue’s role as a production platform extremely important.
COLLECTIVE PRODUCTION
Lafayette Anticipations does not offer artists’ residences, strictly speaking. Instead it seeks to construct a new model where artists can work collectively, more along the lines of the modes of production in cinema, architecture and the performing arts than what is common in the visual arts. Individual artists remain the driver of the creative process, but they work with a team in the production of their works. The members of the curatorial staff, under the guidance of Quintin, live abroad: Anna Colin in London, Charles Aubin in New York and Hicham Khalidi in Louvain (Belgium). These ideas began to take concrete form in 2013 in a pre-launch program initially carried out at the Rue du Plâtre site and then at a hub set up in a space accessible from the Rue Saint-Croix-de-laBretonnerie. To give a few examples, the first guest artist, Petrit Halilaj, held a magnificent narrative exhibition based on a visit to the soon-to-be-closed Kosovo natural history museum. After him came Simon Fujiwara, who spent several weeks preparing for a show split between the Rue du Plâtre and the Pompidou Center (as part of its Nouveau Festival) inspired by the history—real and fictitious—of the Pompidou designed by Renzo Piano and Richard Rogers in 1977. In the realm of fashion, which is very much part of the programming, Anja Aronowsky Cronberg, founder of the magazine Vestoj, offered multiple iterations of her Salon Vestoj, with its mischievous and intimate fantasies. She created this ensemble of performances and narrations on the subject of fashion with the help of its most outstanding experts, historians, critical thinkers and designers. On two occasions, Flora Katz performed her dynamic piece Ediathlon, which consists of a collective marathon Wikipedia editing session held over the course of a weekend to add entries about women. These events produced a community of creators and thinkers who will undoubtedly continue to take part in Lafayette Anticipations’ future life.
OPENING
After an “entr’ouverture” during which Haroon Mirza will activate sound pieces that resonate with the architecture, the inaugural exhibition will feature Lutz Bacher, whose work has been shown quite a bit outside of France lately, including at P.S.1 in New York, the Vienna Secession, the Zurich Kuns- thalle and the ICA in London, but never Paris. Her work is discreet, and parts of it are invisible. This American artist who began working in the 1970s kept her age and gender secret for a long time. She has refrained from commenting on her work and avoided interviews. A few weeks before the opening, Quintin disclosed that her intervention will play off the venue’s interior space with projections of beaches strewn with World War 2 debris, using their horizontal lines to bring out the site’s verticality. Called The Silence of the Sea, after the Vercors book Le Silence de la mer, this piece, brought to life by the sound of the wind, will be infused with references to the threats casting their shadow on the world today. After a performance by Tarik Kiswanson inserted between two exhibitions, the summer program will bring together work by ten artists who have worked with Lafayette Anticipations over the past few months, among them Jumana Manna, Kenny Dunkan and Paul Maheke. This will be a giant ensemble of works attesting to contemporary concerns, in the spirit of the show Faisons de l’inconnu un allié held in the Weber Métaux store not far away last spring. The center cannot hold, a piece that takes its title from a Yeats poem written in 1919, was conceived by the architect Andrés Jaque, born in Madrid and now living in New York. It calls for modifying the configuration of the platforms several times during the exhibition.
Translation, L-S Torgoff