Marcher dans le rêve d’un autre, biennale d’architecture
Divers lieux / 13 octobre 2017 - 1er avril 2018
Marcher dans le rêve d’un autre, tel est le titre de la première édition de la Biennale d’architecture d’Orléans réalisée sous la houlette de l’architecte italien Luca Garofalo et du directeur du Frac Centre, Adbelkader Damani. Il s’est agi pour ce dernier, dès sa nomination en 2015, de trouver une alternative à l’événement bisannuel Archilab, dont le commissariat était assuré par Marie-Ange Brayer jusqu’à son départ pour le Centre Pompidou. Leurs engagements respectifs sont assez différents. Quand l’une défendait l’architecture expérimentale à la pointe des nouvelles technologies, l’architecture « computationnelle », l’autre, qui a auparavant été le directeur de Veduta pour la Biennale de Lyon, et qui a été commissaire de la biennale de Dakar en 2014, souhaite réveiller les esprits politiquement. Cette biennale d’architecture, qui présente les oeuvres de 71 artistes et architectes internationaux en est la preuve. L’invité d’honneur est Patrick Bouchain, dont on connaît l’engagement auprès des hommes politiques de gauche jusque dans leurs campagnes présidentielles, mais aussi l’architecture participative réalisée avec les habitants, et souvent liée à des lieux forains ou à des friches industrielles. Un étage entier du Frac lui est consacré. Le titre de la biennale est un écho au monument aux morts conçu par Bachir Yellés, à Alger, objet d’un travail de recherche de la jeune artiste algéroise Amina Menia qui avait été montré au Centre Pompidou en 2017 dans l’exposition Anarchéologie. Rêver, c’est pour Adbelkader Damani militer en faveur de l’humanisme. Cette biennale se compose de projets architecturaux de la collection du Frac Centre, et rassemble un certain nombre de projets d’architectes utopistes des années 1960-1970, ainsi que des oeuvres actuelles, avec un tropisme vers la scène espagnole. Autant dire que l’accent n’est pas porté sur la dernière tour d’une star-architecte, mais sur des propositions plutôt inachevées sur le plan formel et architectural. Les points de mire sont la migration, par exemple le projet sur Calais du collectif PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines), un groupe de recherche et d’action composé de philosophes, d’architectes et d’artistes, notamment le paysagiste Gilles Clément et le politologue Sébastien Thiéry, ou encore une étude de l’architecte Saba Innab, également en résidence à la Box à Bourges, sur la construction des villages de réfugiés palestiniens. La question que pose Abdelkader Damani est aussi de savoir pourquoi les artistes et les architectes prennent le risque d’imaginer un monde dans lequel on puisse s’immerger et entrer comme dans un rêve, si ce n’est pour lutter contre les inégalités. Il s’agit ici d’une recherche de modèles politiques. Si l’installation Black Bocs de BLACK SQUARE, autre collectif de recherche anglais dirigé par Maria Giudici, fait référence aux mouvements anarchistes britanniques, il n’y a pas cependant de dogme dans cette biennale qui semble dénoncer le système capitaliste. L’enfer de l’ère soviétique est clairement dénoncé par les peintures de Jozef Jankovic, artiste slovaque décédé l’an dernier. Il y a une volonté de prise de conscience géopolitique dans le fait que l’architecture construit aussi la société et peut la détruire, comme le montrent les dystopies de la ville continue d’Archizoom Associati. Un panel de personnalités internationales de l’architecture a été réuni pour réfléchir à cette biennale, dont plusieurs commissaires des pavillons nationaux des précédentes biennales d’architecture de Venise, notamment Aristide Antonas, cocommissaire du pavillon grec en 2004, ecoLogicStudio avec Claudia Pasquero et Marco Poletto du pavillon du Monténégro en 2016 et Frida Escobedo du pavillon du Mexique en 2014. Abdelkader Damani a fait venir des architectes et des artistes du monde entier à Orléans, ville métamorphosée par la biennale avec différents projets, comme celui des Vinaigreries, investies par l’école d’architecture de Nantes, ou celui de la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier qui constitue la seconde partie de la biennale après celle présentée dans les Sub-
sistances du Frac Centre ou encore celui des vingt-deux drapeaux d’architectes espagnols dans la rue Jeanne d’Arc. Une rétrospective de l’architecte Guy Rottier a lieu aux Tanneries d’Amilly. Une question subsiste cependant : quand les architectes des nouvelles technologies chers à Marie-Ange Brayer s’empareront-il d’un engagement plus proche de l’actualité que de la science ? Une réponse sera peut-être bientôt donnée dans l’exposition Coder le monde au Centre Pompidou, dans le cadre de la manifestation annuelle Mutations / Créations dont le commissariat est assuré par Frédéric Migayrou.
Juliette Soulez ——— “Walking in another person’s dream” is the title of the first edition of the Orléans architecture biennial to be directed by the Italian architect Luca Garofalo and the director of the host organization, FRAC Centre, Adbelkader Damani. Since taking over in Orléans, Damani has been looking for an alternative to Archilab, the biennial curated by Marie-Ange Brayer until she left for the Pompidou Center. Where Brayer championed experimental, “computational” architecture at the forefront of new technologies, Damani, who was previously director of the Veduta section at the Lyon Biennale, and who created the Dakar Biennale in 2014, puts the emphasis more on shaking things up politically. That much is pretty clear from the works by the 71 artists and architects who feature in his biennial. The guest of honor is Patrick Bouchain, known for his work alongside politicians on the left, even in presidential campaigns, but also for his participative architecture, explored with locals, often on common land or brownfield sites. A whole floor of the FRAC building here surveys his realizations. The title of the biennial references a memorial conceived by Bachir Yellés in Algiers.This was the subject of a study by a young Algerian artist, Amina Menia, the results of which were shown in the Pompidou’s Anarchéologie exhibition in 2017. For Damani, “dreaming” means actively championing humanism. This biennial comprises architectural projects from the FRAC Centre collection, including several utopian architectural projects from the 1960s and 1970s, as well as current works, with a strong Spanish inflection. In other words, this is not the place to see the latest tower by the newest starchitect. Expect, rather, propositions that are formally and architecturally somewhat incomplete. The migratory crisis features prominently. For example, PEROU (Pole for Exploring Urban Resources), a group made up of philosophers, architects and artists, including star landscaper Gilles Clément and political scientist Sébastien Thiéry, have put together a project for Calais, and the architectural office Saba Innab, also in residence at La Box in Bourges, has made a study concerning the construction of villages for Palestinian refugees. The question that interests Damani is also why artists and architects take the risk of imagining a world that one can enter and inhabit as if it were a dream, if their goal is not to fight inequality. Part of the search here is for viable political models.The Black Bocs installation by BLACK SQUARE, an English collective directed by Maria Giudici, refers to British anarchist movements, but there is no sense of dogma in this biennial. It may critique capitalism, but the hell of the Soviet era is evoked by the paintings of Jozef Jankovic, a Slovak artist who died last year. Exhibitors show an awareness that if architecture constructs a society it can also destroy it, as shown by the dystopia of Archizoom Associati’s continuous city. A panel of international architectural personalities was brought together to reflect on this biennial, including several curators of national pavilions at previous editions of the Venice architecture biennale, notably Aristide Antonas, co-curator of the Greek Pavilion in 2004, ecoLogicStudio with Claudia Pasquero, and Marco Poletto from the Montenegro Pavilion in 2016, and Frida Escobedo from the Mexican Pavilion in 2014. Damani has brought architects and artists from all over the world to Orléans, and they have metamorphosed the city with their projects. For example, the Nantes architecture school has taken over the Viniagreries, while other projects occupy the church of Saint-Pierre-lePuellier, which constitutes the second part of the biennial after the shows at the Subsistances, the FRAC Centre space, and then there are the twenty-two flags by Spanish architects in the Rue Jeanne d’Arc. A retrospective by architect Guy Rottier is on show at the Tanneries d’Amilly. One question remains, however: when will the new, hi-tech architecture championed by Marie-Ange Brayer engage more with current realities than with science? Maybe we’ll get an answer in the exhibition Coder le monde at the Pompidou Center, organized as part of the annual Mutations/ Créations event curated by Frédéric Migayrou.
Translation, C. Penwarden