Intérieurs. Eugène Leroy et Sarkis
Galerie Nathalie Obadia / 12 janvier - 17 mars 2018
L’hommage rendu par Sarkis à Eugène Leroy à la galerie Nathalie Obadia fête les accordailles de la peinture avec l’humidité. Cette exposition est traversée d’intensités liquides, de flux et de fluides. Film n° 171 (Pour Eugène Leroy) l’exprime allégoriquement. Il s’agit pour Sarkis de réaliser une aquarelle dans l’eau, et cela littéralement. Les verres d’eau offerts aux spectateurs qui scandent l’exposition, agrémentés de cercles aquarellés, de la même manière, soulignent avec élégance le fait que, dans son déploiement physique, la peinture de Leroy est plus une question d’humidité qu’une affaire « matiériste ». Même si la femme est chez le peintre un des motifs de prédilection (dans quasiment toutes ses toiles, il y a la présence d’une femme), ce n’est pas dans sa représentation que réside la charge profondément sensuelle de l’oeuvre, mais dans le mouvement même de cette peinture qui s’offre tout en se protégeant. Sans doute faut-il voir, dans cette obstination à ne jamais en avoir fini avec une toile, une manière de conserver intacte cette humidité qui matérialise et incarne la fraternité sensuelle, chez Leroy, de l’amour et de la peinture. Sarkis a bien saisi la densité voluptueuse et lumineuse qui est au coeur de la peinture d’Eugène Leroy. Pour chacun des dix tableaux présentés, Sarkis a imaginé un dispositif discret (une petite inclinaison, un éclairage rasant) qui permet de déguster chaque peinture, d’en apprécier les chatoiements, les moirures, les délicatesses, les aspérités, les fulgurances… La peinture chez Leroy, c’est de la lumière avant d’être une matière. Une manière d’absorber l’image, de la dissoudre aux limites de sa figurabilité, pour mieux en révéler la quintessence. La peinture d’Eugène Leroy, c’est aussi, et peut-être surtout, du temps. Dans des cadres Art Nouveau, Sarkis a réalisé des dessins sur papier d’Arches qui transpirent littéralement la peinture à l’huile que l’artiste y a déposée. En mettant en oeuvre un temps pictural, Sarkis manifeste son admiration pour le peintre de Wasquehal, sans pour autant le parodier. Toute l’exposition est faite de clins d’oeil et de détails qui mettent en perspective la peinture de Leroy sans jamais être dans un rapport mimétique. C’est manifestement la figure, extrême et solitaire, du peintre qui intéresse Sarkis. Il retrouve, au travers d’elle, son amour premier pour la peinture, celle d’Edvard Munch en particulier. Le Séchoir à dessin est là pour signifier ses admirations pour le peintre norvégien, mais aussi pour Grünewald, Schönberg et Beuys. Ici encore, pas de citation illustrative; simplement quelques taches, quelques hiéroglyphes exécutés à l’huile, et déposés sur du papier, qu’il est possible de regarder un par un. Intérieurs : autant dire le creuset alchimique de deux démarches liées moins par la forme que par un même acharnement, une même gourmandise de la vie.
Bernard Marcadé ——— Sarkis’s homage to Eugène Leroy at the Nathalie Obadia gallery celebrates the marriage of paint and moisture. This show is permeated with liquid intensities, flow and fluids. Film n° 171 (Pour Eugène Leroy) expresses this allegorically. It shows Sarkis literally painting on water with watercolors. Likewise, the glasses of water offered visitors at several points along the way, and the watercolor-painted circles, elegantly emphasize the fact that painting is characterized more by the sensation of dampness than the materiality of the paint. Even if women are one of his favorite subjects (a woman is present in almost all of his paintings), the profound sensuality that infuses his paintings does not come from representation but rather the way they seem to move between revealing and concealing themselves. Leroy’s stubborn refusal to ever really finish a painting should be understood as a way to ensure they retain this dampness, which, for him, materializes and embodies the sensuality fraternity of love and painting. Sarkis grasps the voluptuous, luminous density at the heart of Leroy’s practice. Sarkis designed a particular mode of presentation for each of the ten canvases on view in this show (a slight incline, a raking lighting, etc.) to allow visitors to savor them one by one and appreciate their shimmering, subtleties, asperity and flashes. For Leroy, light preceded matter. He used it to charge his images, to dissolve them almost (but not quite) to the point of unfigurability, all the better to reveal their quintessence. Leroy’s painting is also, and perhaps above all, a matter of time. Using Art Nouveau frames, Sarkis made drawings on Arches paper that literally sweat the oil paint he brushed on it. By creating a painterly time, Sarkis manifests his admiration for Leroy without parodying him. The whole exhibition is full of allusions and details that call Leroy’s work to mind without imitating it. Clearly what interests Sarkis most is the figure of Leroy, an extreme and solitary artist. Through this he is able to reconnect with his youthful love for painting, particularly the work of Edvard Munch. His Séchoir à dessin signals his admiration for the Norwegian painter, and for Grünewald, Schönberg and Beuys as well. Once again, there’s no question of illustrative citation, simply a few splashes of oil paint on paper, a few hieroglyphs that we can look at one by one. Intérieurs is like an alchemist’s crucible for the melding of two approaches linked not by formal issues but the same relentlessness, the same insatiable appetite for life.
Translation, L-S Torgoff
« Intérieurs ». 2018. Vue de l’exposition. (Court. des artistes ; Ph. Bertrand Huet/ tutti image). Exhibition view 1er plan et à droite, au mur/ foreground:
Sarkis. « V81 Retable 6 images ».
2017. Vitrail. 113 x 117 x 12 cm. « 2017.10 Kintsugi avec l’élève Toerless et 2 biscuits chinois ». 2017. Technique mixte Au fond/ background: Eugène Leroy