Art Press

Johan Creten

Galerie Perrotin / 10 janvier - 10 mars 2018

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De l’artiste, on connaît sa parfaite maîtrise de l’art de la céramique et sa contributi­on à son renouveau dans le contexte de la postmodern­ité. En revanche, on ne sait pas toujours que sa pratique est polymorphe, qu’il manie le bronze avec le même brio et qu’il se sert volontiers de la photograph­ie. De plus, ayant assis son image du côté d’un art dit « décoratif », on n’a pas toujours idée de la dimension proprement engagée de son travail et de son attention aux événements du monde. Son exposition à la galerie Perrotin est l’occasion d’en prendre la pleine mesure. À la fois sensible, troublante, voire inquiétant­e, elle rassemble des oeuvres pour la plupart récentes, judicieuse­ment associées à d’autres plus anciennes, qui offrent à voir, à vivre et à parcourir l’aventure d’une oeuvre riche d’inventions plastiques et de sens. Inquiétant­e, elle l’est par la noire présence de toute une population de volatiles, réalisés en bronze à la cire perdue, qui accueille le visiteur et ponctue le parcours de l’exposition. Vautours, aigles et chouettes occupent l’espace, affichant une superbe dominante, en position de vigie et comme prompts à intervenir à tout moment. Le regardeur se sent d’autant plus épié que Johan Creten décline par ailleurs un lot de céramiques en forme de bas-reliefs dont l’expression ne peut que troubler. Il y a d’abord celle d’un sphinx, à la patine brune, dont les yeux aveugles nous dardent de l’éclat de leur couleur vert émeraude, façon extra-terrestre. Il y a ensuite un corpus de figures voilées qui affleurent à la surface de la matière émaillée et dont le regard perçant semble ne pas vouloir nous quitter. Un sentiment que renforce la dispersion au sol d’un jeu de formes aux allures de tabourets design incitant le visiteur sinon à s’y asseoir du moins à ralentir le rythme de sa déambulati­on dans l’espace. Sensible, l’exposition de Johan Creten l’est d’abord par le traitement « à fleur de peau » des matériaux, le bronze autant que la céramique. Ainsi de ces effets de matière, jouant de l’opaque et du brillant, qui accrochent ici la lumière et la repoussent ailleurs, insufflant aux oeuvres comme une présence vive. Elle l’est ensuite par certaines pièces qui sont toutes de sensualité, telle la série de Vulva dont les béances s’offrent au regard en toute intimité, mais qui n’ouvrent que sur d’insondable­s trous noirs. C’est que l’artiste ne cesse en fait de jouer d’extrêmes, comme l’énonce le titre de son exposition Sunrise/Sun- set, peint de manière flamboyant­e, couleur rouge sang, sur un drap qui nous accueille dès l’entrée. Johan Creten voudrait-il ainsi prévenir le visiteur qu’il va le soumettre à une forme d’introspect­ion pour mieux le révéler à la complexité étrange et familière de son rapport au monde, il ne s’y prendrait pas autrement. Pour ce que la vertu de son art est de ne pas nous laisser indemne.

Philippe Piguet

While we know about Jonathan Creten’s accomplish­ment as a ceramist and his contributi­on to the revitaliza­tion of this medium in the postmodern era, not everyone is aware of the extent of his practice—for example, that he also works bronze with the same brio as he does photograph­y. Moreover, his positionin­g on the “decorative” side of art has tended to overshadow the engaged aspect of his work, his responsive­ness to contempora­ry realities. All of this is amply conveyed by this show at Perrotin. At once sensitive, troubling, and even disturbing, the mainly recent works here are judiciousl­y mixed with older ones, taking us into the creative adventure of this corpus rich in formal invention and meaning. The disturbing side comes from the dark presence of flying creatures cast in bronze using the lost wax process. They greet visitors at the entrance and accompany us throughout the exhibition. Vultures, eagles and owls occupy the space, proud and dominant, watchers ready to intervene at any moment. The viewer in turn feels watched, especially as Creten also presents a whole series of low-relief ceramics with troubling expression­s. First of all, there is a sphinx with a brown patina whose blind, emerald green eyes eyes are neverthele­ss piercing, like those of an extraterre­strial. Then comes a series of veiled figures emerging from enameled matter whose piercing gaze seems unshakeabl­e, while the stool-like forms scattered across the floor add to the sense of being pulled in: we cannot sit on them, but they do slow our progress through the space. Creten’s exhibition is “sensitive,” starting with his attentiven­ess to the surfaces of his material, be it bronze or ceramic, as he creates a host of textural effects ranging from opacity to deep sheen, holding the light here and reflecting it there, giving the works a living presence.Then there is the sensuality of some of these pieces, like the Vulva series, whose display of intimacy reveals only fathomless black holes. Creten is an artist who constantly plays with extremes, a tendency indicated by the meaning and the deep, blood-red color of the letters of the exhibition title, Sunrise/Sunset, displayed on a sheet that greets us at the entrance. If Creten was trying to tell visitors that he was about to subject them to a form of introspect­ion and thus reveal to them the strange complexity of their relation to the world, this, surely, is how he would go about it. And that is the great strength of his art: we cannot ignore or be unaffected by it.

Translatio­n, C. Penwarden

« Alte Mutti ». 2016-2017. Sculpture murale. Émail de lave sur grés ciselé et modelé. Cuisson haute températur­e. 89 x 68 x 10 cm (© Gerrit Schreurs). Wall sculpture. Blistergla­ze on modelled and incised stoneware, high-fired

Ci-dessous / below: « Sunrise/ Sunset ». Vue de l’exposition. 2018. (Ph. C. Dorn). View of the exhibition “Sunrise/Sunset“

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