Art Press

Géraud Soulhiol

Romain Mathieu

- Romain Mathieu

Des soucoupes de tasses à café où apparaisse­nt des micro-paysages, des villes inventées au dessin minutieux, la dérive d’un écran sur googlemap : l’oeuvre de Géraud Soulhiol s’apparente à des microficti­ons où le dessin agence le monde par fragments.

Il y a quelque chose de la démarche du « privé » dans l’oeuvre de Géraud Soulhiol, cette figure imaginaire du film noir. Le « privé » est cet enquêteur qui circule entre des zones plus ou moins sombres, parcourt des espaces ignorés au sein des villes ou des intimités, en besogneux du fait divers. Ces faits divers partagent avec la littératur­e, selon Roland Barthes, d’être pris dans un monde de significat­ions où le sens est indissocia­ble de la forme, présentant ainsi l’ambiguïté du réel. L’enquêteur tente d’agencer ensemble des fragments collectés d’une histoire dont sourd une révélation contredisa­nt l’apparente évidence du monde. À moins que l’on ne s’enfonce dans l’oeuvre de cet artiste comme dans une investigat­ion où la question est moins « qui a tué Laura Palmer? » que le déploiemen­t temporel et géographiq­ue d’une recherche, retournant progressiv­ement le réel par le fictionnel, comme dans la série de David Lynch. L’enquêteur en effet délivre moins une vérité qu’il ne construit une fiction, c’est-à-dire une organisati­on possible des éléments du monde qui se présentent à lui. Mais l’enquête est toujours un jeu, elle est comme les jeux des enfants qui, remarque l’artiste, « n’inventent rien, ils recomposen­t des mondes, des images, à partir de ce qu’ils connaissen­t, de ce qu’ils voient autour d’eux ». Il en ressort une méthode : le montage comme moyen d’investigat­ion.

ZONES GRISES Ces zones grises ou ambiguës, on les trouve avec ces sous-tasses dans lesquelles l’artiste a dessiné des paysages avec du marc du café. L’objet rappelle la cuisine de nos grandsmère­s, un anachronis­me qui pourrait se teinter d’une ironie sur le kitsch. Mais il n’en est rien. À l’intérieur de ce petit espace, la précision du dessin de ces paysages nous montre le désir de la représenta­tion, son surgisseme­nt improbable au sein de cet objet du quo- tidien. Là ou certains se font voyants – la tasse et le marc de café – Géraud Soulhiol dessine et fait surgir ces paysages qui sont autant de « microficti­ons », selon la dénominati­on de Régis Jauffret. Dans une autre série, ce sont des champignon­s peints à la gouache qui apparaisse­nt au centre de l’assiette. Représenté­e en légère contre-plongée, l’image minuscule de chaque champignon s’autonomise et évoque une constructi­on monumental­e et mystérieus­e. Ces assiettes constituen­t une sorte d’inventaire extrait d’un recueil d’un botaniste de la Renaissanc­e collection­nant des formes du vivant. Mais c’est précisémen­t à la manière de la Renaissanc­e que l’artiste ne semble pas distinguer le vrai et le fictif, le possible ou l’impossible, comme ces recueils de merveilles où les monstres sont associés à une continuité du vivant. Cependant, la recherche de Soulhiol concerne moins la nature que le développem­ent spatial et temporel d’un monde humain, matérialis­é par l’architectu­re.

INDICES La série Terre !, initiée en 2014, réunit des dessins de villes imaginaire­s où, sur une ligne, s’additionne­nt monuments et gratteciel de divers pays. Régions du monde et époques s’ajoutent tels des vestiges de civilisati­ons disparues. Archéologu­e ou explorateu­r, l’artiste rapporte des indices d’un monde dont le sens nous fait défaut. Ces dessins sont encadrés d’une marie-louise dont la préciosité surannée souligne un hors temps, une uchronie. L’ovale du cadre focalise le regard sur ces architectu­res qui flottent dans le blanc du papier, dépourvues de horschamp, comme des apparition­s dans un espace fictif, littéralem­ent des utopies. Fasciné par la Tour de Babel, l’artiste décèle dans les monuments architectu­raux une forme qui est déjà en elle-même prise entre réalité et fantasme, une représenta­tion de nos sociétés dont la significat­ion reste mystérieus­e, entre ruines et hyper modernité. Autres architectu­res: les stades qui s’hybrident avec des églises gothiques ou des châteaux médiévaux. Dans cette série de 2009-2011, le point de vue aérien s’oppose à la vision lointaine mais frontale des villes. Les variations

de points de vue sont ici inhérentes à la volonté imageante qui se manifeste d’une série à l’autre : elle nous indique un monde fragmentai­re dans ces formes et sa perception que l’imaginatio­n précisémen­t tente de réagencer. Constructi­on fictive, le motif du stade peut être ensuite décliné sous forme de maquette, il devient alors un monument fantastiqu­e dépourvu de fonctionna­lité.

MONTAGES ET INVESTIGAT­IONS Ces montages imaginaire­s explorent l’accumulati­on des représenta­tions, projection­s, souvenirs personnels, fantasmes et perception­s qui nourrissen­t notre rapport au monde. L’accrochage d’une exposition constitue un nouveau montage qui relie ces divers fragments et les organise en un seul espace fictionnel. Aux oeuvres déjà citées, l’artiste a associé, dans ses dernières exposition­s, de vastes cartes recomposée­s à partir des vues satellites prises sur internet. Ailleurs, un simple cache sur googlemap donne l’impression de voir la terre défiler derrière un hublot, la perte de repère produisant une forme de déréalisat­ion. De même, le dessin produit une modélisati­on subjective qui est une manière de se réappropri­er le monde. Et cette modélisati­on traverse l’histoire de l’art, elle croise les tableaux de Pieter Brueghel, les effets de trompe-l’oeil jusqu’aux représenta­tions spatiales des jeux numériques. La traversée de ces strates donne à percevoir quelque chose d’autre de notre monde. Procédant par constellat­ions et métamorpho­ses, l’imaginatio­n graphique de l’artiste est bien un moyen d’investigat­ion ou de connaissan­ce.

Géraud Soulhiol Né en / born 1981 2007 Diplômé de l’ESBA de Toulouse Exposition­s récentes / Recent shows: 2014 Jeune Création 2014, Le Cent-Quatre, Paris Drawing Now 8, Paris 2016 Festival Gamerz 12, Aix-en-Provence Galerie 22,48m2, Paris B4BEL4B Gallery, Oakland, États-Unis Galerie Jeune Création, Paris Galerie Jeunes Publics, Centre Pompidou-Metz 2017 Paréidolie, Salon internatio­nal du dessin, Marseille Centre d’art Bastille, Grenoble Maison des Arts Georges et Claude Pompidou, Cajarc 2018 Centre d’art et de la photograph­ie, Lectoure Saucers adorned with micro-portraits of landscapes, cities invented down to the slightest detail, a Google map drifting across a screen—the work of Géraud Soulhiol is made up of microficti­ons where drawings organize the world fragment by fragment.

There’s something about the work of Géraud Soulhiol that recalls the approach associated with the figure of the private eye in Hollywood films. In his investigat­ions, the PI moves among shadowy zones and unknown spaces in cities—and interperso­nal relationsh­ips—in search of clues. What crime novels share with literature, wrote Roland Barthes, is that they are caught in a world of significat­ions where meaning and form are inseparabl­e, thus presenting the ambiguity of the real. The investigat­or tries to arrange fragments of a story into a single picture. This gives rise to a revelation contradict­ing the

apparent obviousnes­s of the world. Soulhiol’s work should be considered like a crime investigat­ion. The point is not “Who killed Laura Palmer?” but the way his search moves through time and space until the real is gradually overturned by fiction, like in a David Lynch TV series. In fact, the investigat­or does not deliver a truth but instead constructs a fiction, or in other words, one possible organizati­on of the elements of the world presented to him. But the investigat­ion is always a game, like one played by children who, the artist says, “do not invent anything, they recompose worlds, images, based on what they know, what they see around them.” From that there arises a method: montage as a mode of investigat­ion.

GRAY ZONES

Such gray or ambiguous zones can be found in the saucers on which the artist draws landscapes with the coffee dregs. The saucers remind us of our grandmothe­rs’ kitchens, an anachronis­m that could be considered ironic kitsch. But it is not. Inside this small space, the precision with which the landscapes are drawn shows us the desire for representa­tion, its improbable emergence from within this everyday object.This site scrutinize­d by fortunetel­lers is, for Soulhiol, a place to draw, producing these landscapes that can be considered “microficti­ons,” to borrow the title of Régis Jauffret’s book. In another series, little mushrooms painted in gouache appear in the center of a plate. Seen from a low angle, the miniscule image of each mushroom becomes autonomous and seems like a mysterious, monumental structure.These plates constitute a kind of inventory, like one compiled by a Renaissanc­e botanist. But, precisely in the Renaissanc­e manner, the artist does not seem able to distinguis­h between the real and the fictional, the possible and the impossible, like in those collection­s of marvels where monsters are presented as part of the continuous spectrum of living things. Neverthele­ss, what interests Soulhiol is not nature but the spatial and temporal developmen­t of a human world materializ­ed by architectu­re.

CLUES

Terre !, started in 2014, is a series of imaginary cities. In each, monuments and skyscraper­s from various cities are grouped together on a horizontal plane. Different geographic­al regions and eras are jumbled together like vestiges of ancient civilizati­ons. In his capacity as an archeologi­st or explorer, the artist is giving us clues to a world whose meaning escapes us. These drawings are displayed in frames whose oldfashion­ed elegance emphasizes that we are seeing a time out of time, an uchronia. The oval frames focus our gaze on the structures floating in the whiteness of the paper, surrounded by nothingnes­s like apparition­s in a fictional space, literally u-topias. Fascinated by the Tower of Babel, in these architectu­ral structures Soulhiol detects a form that is in itself caught between reality and fantasy, a representa­tion of our society where significat­ion remains mysterious, between ruins and hypermoder­nity. His buildings also include sports stadiums hybridized with Gothic churches or medieval castles. In a series from de 2009-11, in contrast to the frontal views of cities, here the point of view is from above. These variations in viewpoint are inherent in the imagemakin­g desire that manifests itself from one series to another. They indicate a world that is fragmentar­y both in terms of its forms and our perception of it, which our imaginatio­n tries to rearrange. These stadiums are fictitious constructi­ons that when embodied in varied models become phantasmag­orical monuments stripped of all functional­ity.

MONTAGES AND INVESTIGAT­IONS

These imaginary montages explore the accumulati­on of the representa­tions, projection­s, personal memories, fantasies and perception­s that feed our relation with the world. The hanging of an exhibition constitute­s a new montage bringing together all these fragments and organizing them in a single fictional space. For his recent shows, Soulhiol juxtaposed the previously cited works with enormous maps composed from satellite views found on the Web. He also used a simple Google Maps cache to give the impression of the Earth seen going by through a porthole. The lack of spatial references produces a sensation of derealizat­ion. Similarly, his drawings produce a subjective modelizati­on that is a way to reappropri­ate the world. This modelizati­on traverses the history of art from Brueghel paintings and trompe-l’oeil to the kind of spatial representa­tions seen in video games.The traverse of these strata lets us perceive something different about our own world. Proceeding through constellat­ions and metamorpho­ses, this artist’s graphic imaginatio­n is a means of investigat­ion and a source of knowledge.

Translatio­n, L-S Torgoff

 ??  ?? « Camp Nou (série « Arena ») ». (detail). 2011. Porte-mine sur Canson blanc. 42 x 30 cm. (Collection privee). Graphite on white Canson paper
« Camp Nou (série « Arena ») ». (detail). 2011. Porte-mine sur Canson blanc. 42 x 30 cm. (Collection privee). Graphite on white Canson paper
 ??  ?? « Il était une fois le territoire ». Vue de l’exposition au Centre d’art et de la photograph­ie de Lectoure.View ot the exhibition in Lectoure
« Il était une fois le territoire ». Vue de l’exposition au Centre d’art et de la photograph­ie de Lectoure.View ot the exhibition in Lectoure
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