Père Michaeel Najeeb résistance au nihilisme ; Gilbert Lascault élégie de l’oblique
Père Michaeel Najeeb avec Romain Gubert Sauver les livres et les hommes Grasset, 180 p., 17 euros
Nous sommes en juillet 2014, à Qaraqosh, au nord de l’Irak, dans la province de Ninive. Autrefois, dans cette ville, on était tisserand de génération en génération. Les bergers, souvent musulmans, fournissaient la laine, et les familles chrétiennes – qui vivaient ici depuis deux mille ans – la travaillaient. Maintenant, les barbares au drapeau noir sont proches. Le « calife » de Daech a ordonné aux chrétiens de partir, de se convertir ou de mourir. Inscrit sur la liste des « kouffars » à abattre en priorité, le Père dominicain Najeeb a dû quitter Mossoul, pour se replier à Qaraqosh. Passionné d’archéologie et de textes anciens, il s’est improvisé bibliothécaire, en référençant et en numérisant le fonds des bibliothèques de divers couvents de cette région. Il n’a pas de formation d’archiviste pour autant, mais il a la passion de la mémoire, de la trace laissée par le Dieu miséricordieux. Il est attaché au rare, au précieux et au merveilleux, à l’image de cet évangéliaire du 18e siècle, écrit en araméen et dont les pages fourmillent d’enluminures, de gravures et de dessins et qu’il range sur l’étagère la plus proche de son bureau pour pouvoir le regarder et s’en inspirer. Sauver ce qui peut encore l’être – les islamistes viennent de détruire Palmyre et aussi toute l’histoire de Mossoul / Ninive, notamment le tombeau de Jonas – relève d’une épopée qui ne peut s’inscrire que dans une volonté de vivre et de faire vivre le fondement même d’un christianisme de combat : « Nous avons le droit, et sans doute le devoir, de prendre les armes pour défendre notre terre. Nous devons répondre à la barbarie car Dieu ne nous a jamais demandé d’être faibles. » Les chrétiens d’Orient ont appris très vite la méfiance. Ils savent toujours ce que signifie la loi du plus fort, mais, contrairement à l’homme-mesure européen qui n’a plus la volonté de vivre et qui adhère au vide dépressif de son seul désir, ils résistent continuellement à ces slogans fous que des supporters de l’État islamiste ont inscrits sur les façades des maisons pillées, lacérées, détruites : « Daech vaincra », « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie ». Ce livre courageux est, avant tout, un livre de résistance au nihilisme actif, mais il est aussi une critique de ce nihilisme passif, in- culte et vulgaire, incarné par les Américains lorsqu’ils ont envahi l’Irak sans rien connaître de ce pays. En effet, en 2003, au lendemain de l’intervention américaine, les Marines n’ont pas eu le réflexe de protéger les musées : celui de Bagdad a été pillé en trois jours, la bibliothèque de Bassorah a été détruite en quelques heures. Ce récit de notre Ptolémée actuel témoigne d’un refus du crime généralisé et constitue une prescience, celle d’une apocalypse qui gagne tous les continents. Ce dévoilement nous dit que la violence – celle des islamistes aujourd’hui – ne produit plus rien qu’elle-même : le meurtre émissaire et de masse. Gardez vos demeures! Ne vendez jamais vos terres ! Ne perdez pas la foi de vos ancêtres, car les arbres ne se séparent pas de leurs racines. L’homélie prononcée le soir même de son retour à Qaraqosh par le Père Michaeel Najeeb peut-elle être entendue, et par qui ? Sans doute pas par les chrétiens déchristianisés d’Occident qui ne distinguent plus laitue et chardon dans la vallée du carnage ! La passivité politique et les compromissions mondaines font de ces chrétiens-là des adorateurs fatigués de substituts de Dieu.
Pascal Boulanger