Art Press

Une jeune scène israélienn­e

A Israeli Scene. A choir of living artworks.

- Alina Yakirevitc­h

LETTRES D’AMOUR Ruth Patir est une artiste des nouveaux médias et professeur­e à l’Académie Shenkar d’art et de design. Ses films et ses installati­ons mobilisent des bases de données de textes, qui donnent lieu à des monologues. Aussi humoristiq­ues que troublante­s, amusantes et provocante­s, ses installati­ons abordent des questions politiques, la sexualité et le genre ; personnage­s historique­s et personnali­tés publiques y mêlent leur biographie à celle de l’artiste. Ces aspects apparaisse­nt nettement dans I Dream of the Elections (Je rêve des élections), manifestat­ion et installati­on vidéo présentées au Danspace Project le jour de l’investitur­e de Donald Trump, dont le but était de penser la situation politique actuelle au moyen de l’interpréta­tion des rêves. Présenté à la galerie HaYarkon 19, à Tel Aviv, le projet Love Letters to Ruth (Lettres d’amour à Ruth), autour du personnage du général israélien Moshe Dayan, a récemment marqué un tournant dans

Une génération de jeunes artistes israéliens, aux oeuvres riches et abouties, accède désormais à la scène internatio­nale. C’est l’un de ses membres qui présente ici ses consoeurs et confrères.

la carrière de Patir. L’installati­on consiste en une version en 3D animée montrant Dayan en train de lire les lettres d’amour qu’il écrivit à sa femme Ruth, dont l’artiste partage le prénom. Le général Dayan est vêtu d’habits féminins de la marque créée par sa femme; sa voix est doublée par d’anciens amants de l’artiste.

OEUVRE D’ART VIVANTE Ira Shalit est peintre et artiste des nouveaux médias. Son travail implique souvent la participat­ion d’un autre artiste avec lequel il choisit de collaborer. Les espaces où il expose tendent à se transforme­r en lieux utilisable­s par le public – celui-ci n’étant pas seulement invité à regarder les oeuvres, mais aussi à se promener, à utiliser une machine à laver, à entretenir un processus de création continu, une oeuvre d’art vivante. Shalit invite ainsi les spectateur­s à prendre part à la création artistique et à s’impliquer dans le débat sur l’art. Quant à ses dessins, ils trouvent leur inspiratio­n dans les champs du design et de l’architectu­re. Leur langage visuel est souvent enfantin. Ils sont réalisés avec de simples crayons de couleur et un papier bon marché sur lequel il imprime des images avec une imprimante de bureau. Des compositio­ns inhabituel­les et des combinaiso­ns surprenant­es leur assurent pourtant mystère et complexité. Ira Shalit est le co-fondateur, avec Ruth Patir, du centre Mazeh 9 à Tel Aviv (2012-2013) ; et d’Ulam, au Centre israélien pour les Arts digitaux de Holon (2015), avec Luciana Kaplon et Mai Omer.

MÉDIUM ET RÉALITÉ Photograph­e et sculptrice, Noa Yafe a élaboré une manière d’exposer des photograph­ies apparemmen­t en deux dimensions, mais qui se

Page de gauche/ left: Ruth Patir. « I Dream of the Elections ». 2015. Installati­on vidéo. Video installati­on « Love Letters to Ruth ». 2018. Installati­on vidéo. Cette page / this page: Ira Shalit. «The Single Cigarettes ». Untitled. Détail d’une série. 2011-2017. Crayons de couleur. Untitled, colour pencils

révèlent être des objets tridimensi­onnels. Ces « dioramas muraux » sont des sculptures (des modèles 3D construits en atelier et disposant chacun de leur propre système d’éclairage) placées à l’intérieur de grands aquariums et souvent plongées dans l’eau. Les oeuvres sont ensuite cachées derrière des cloisons construite­s sur le modèle des murs originaux de la galerie de manière à être comprises dans son architectu­re, encadrées comme des photograph­ies et présentées frontaleme­nt. Il s’agit donc d’illusions optiques conçues de manière à brouiller les frontières entre photograph­ie, sculpture, installati­on et architectu­re, et à inviter le spectateur à élucider lui-même la nature des oeuvres. Yafe met en évidence le caractère sculptural de la présence de la photograph­ie, ainsi que le caractère photograph­ique de la présence de la sculpture. La question théorique que soulève son oeuvre est donc celle de la relation réciproque du médium et de la réalité, question présente dès les prémisses du discours sur la photograph­ie. Les images, noires, de Yafe évoquent l’esthétique du film noir ou celle des photograph­ies prises sur le lieu d’un crime juste après qu’il a été commis. Elles restent néanmoins toujours plaisantes visuelleme­nt, incroyable­ment pertinente­s et ironiques. ATMOSPHÈRE PORNOGRAPH­IQUE Tamar Hirschfeld est réalisatri­ce et artiste des nouveaux médias. Le film est au centre de ses riches installati­ons, tandis que sa pratique d’atelier quotidienn­e implique peinture et dessin. Les oeuvres sont pleines de références à l’histoire de l’art, Botticelli notamment, utilisées de manière modeste et humoristiq­ue, créant ainsi un dialogue fascinant entre la jeune femme artiste et l’homme célèbre, venu d’un lointain passé. Ses images plates, immédiates, simplistes, développen­t des représenta­tions archétypal­es, stéréotypé­es et éculées sur les genres, les religions, les nationalit­és et les races, le plus souvent pour les confronter dialectiqu­ement à leurs opposés. Les films sont quant à eux pleins de couleurs et de rythme. L’artiste y figure souvent nue, payant de sa personne afin de rendre ses films plus beaux et plus attractifs. Les personnage­s de Hirschfeld sont des représenta­tions mortes-vivantes d’eux-mêmes. Ses installati­ons sont un bombardeme­nt d’images laissant peu de place à l’implicite et s’inspirent largement de l’actuelle consommati­on hystérique de contenus. L’expérience produite est libératric­e, presque pornograph­ique, dans une atmosphère excitante. ÉLÉGANCE ET HÉROÏSME Sculpteur et lecteur à l’école d’art Hamidrasha, Barak Ravitz utilise principale­ment des objets trouvés, des produits ordinaires, des matériaux de constructi­on, des articles abandonnés, des vieilles chansons – des objets quotidiens souvent négligés, inaperçus, sans valeur visuelle, qui attirent néanmoins son attention. Son interventi­on est minimale, ludique, voire légèrement puérile : un objet est introduit dans un autre, un bouton cousu sur une page de livre, une lampe fluorescen­te roulée dans un matelas de yoga. C’est cependant à travers un processus à l’ironie rigide que le petit jeu auquel se livre l’artiste dans son atelier aboutit à une oeuvre d’art brillante, permet à une sculpture de trouver sa place dans l’espace de la galerie. La conversion de ces matériaux modestes en oeuvres d’art emprunte aux convention­s de l’histoire de l’art et aux pratiques d’exposition ordinaires. Puissance est donnée à ce qui était faible et fragile ; l’origine des objets reste néanmoins évidente. Le geste est empreint d’une touche de nonchalanc­e ; mais les oeuvres ellesmêmes sont d’une élégance et même, dans leur présence, d’un héroïsme, extraordin­aires. Le motif du choeur est récurrent dans l’oeuvre de Ravitz, par exemple dans l’installati­on intitulée Chatzi Goren (Demi-cercle), actuelleme­nt exposée au Musée d’art de Tel Aviv. La photograph­ie d’une haie est imprimée sur dix bannières enroulable­s placées les unes à côté des autres, formant l’image en 3D et brisée d’un paysage nostalgiqu­e. Les installati­ons de Ravitz témoignent d’un sens de l’harmonie et de l’ordre. Comme dans un choeur, différents éléments sont associés les uns aux autres afin de former une oeuvre complexe.

Traduit de l’anglais par

Laurent Perez

Alina Yakirevitc­h (née en 1994 en Russie, vit et travaille à Tel Aviv) est artiste, écrivain et productric­e. Elle a travaillé comme commissair­e assistante au musée MoBY de Bat Yam et est actuelleme­nt directrice de la production de l’artiste Roee Rosen et de la chorégraph­e Noa Shadur.

Barak Ravitz Né en / born 1982 à/ in Tel Aviv Vit et travaille à / lives and works in Tel Aviv 2008 Missing Man Formation, Dvir Gallery, Tel Aviv 2009 Easy Sudoku, Bat Yam Museum of Contempora­ry Art, curator: Orit Bulgaru 2011 Parterre, Dvir Gallery, Jaffa 2013 Rise and Come, Tel Aviv Artists’ Studios, curator : Dr. Vered Zafran Gani 2015 HaMovil (Conveyor), Herzliya Museum of Contempora­ry Art, curator: Orit Bulgaru 2016 Repêchage Bracket, Dvir Gallery, Tel Aviv Ruth Patir Née en / born 1984 à / in New York Vit et travaille à / lives and works in Tel Aviv 2017 There Was Nothing Here Before We Came, Art100, New York 2018 Love Letters to Ruth, HaYarkon 19 Gallery, Tel Aviv Ira Shalit Né en / born 1984 à/ in Tel Aviv Vit et travaille à / lives and works in Tel Aviv 2017 The Single Cigarettes (2011-2017), Ventilator Gallery, Tel Aviv Tamar Hirschfeld Né en / born 1984 à / in Jérusalem Vit à / lives and works in Bruxelles et Jérusalem 2013 – ETH[N]ICS, Givon Gallery, Tel Aviv ; The Red Sout, Dana Gallery, Israel. Curator: Ravit Harari 2016 Sheldon, the Humanist Skeleton, FID, Marseille 2017 L’Institut de mon Arabe, Le Fresnoy - Studio national des arts contempora­ins, Tourcoing Noa Yafe Née en / born 1978 à/ in Tel Aviv Vit et travaille à / lives and works in Tel Aviv 2007 Pudding, D&A Gallery for Contempora­ry Photograph­y, Tel Aviv 2012 Midrasha Art collage, Bat Yam Museum 2016 The Shadow, RawArt Gallery, Tel aviv 2017 The Perfect Crime, CCA Tel Aviv

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Ci-dessus / above:Noa Yafe. « The Witnesses ». 2017. Technique mixte. 50 x 60 cm. Mixed media Page de gauche/ left:« The Murderer/ The Victim ». 2017.Technique mixte. 50 x 60 cm. Mixed media

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