Erri De Luca
Une tête de nuage
Gallimard, 104 p., 9,45 euros
Les livres d’Erri De Luca ne nous parviennent pas dans l’ordre de leur parution italienne. Aussi la publication en français d’un nouveau récit ou essai d’exégèse biblique du grand écrivain italien (un tiers de son oeuvre) est-elle toujours une heureuse surprise permettant de savourer l’ampleur d’un travail se déployant entre solitude ontologique et recherches de possibilités de fraternité, par les voies du courage politique (de Lotta continua à la désobéissance civile, écologiste et internationaliste), de la rencontre amoureuse (la force et l’éphémère du duo érotique) et du partage spirituel. Alpiniste passionné, Erri De Luca connaît la valeur des prises lorsqu’elles sont justes, de la même manière que la trouvaille des mots exacts leste ses phrases, concises, elliptiques, définitives, d’un poids de vérité qui exalte. Une tête de nuage n’est peut-être pas le plus brillant de ses récits, mais il attache. À travers l’histoire du couple Miriam-Joseph de Bethléem et de leur enfant Dieu, de sa naissance à sa résurrection à Emmaüs, l’auteur du Contraire de un questionne le statut de l’étranger, la notion d’hospitalité et le destin biopolitique des pleinement vivants que les frontières armées transforment en spectres errants, pire en déchets. D’une forme très libre, recourant parfois au dialogue théâtral, Une tête de nuage oppose à la violence des décrets politiques la douceur des paroles et la beauté de ses personnages. Dans une cabane est né un roi promis au massacre, un émigrant persécuté, soignant bientôt les égarés par la fraternité. Aller à pied, incarner l’Écriture sainte, panser par la voix pure les blessés, tel fut le chemin de Jésus, qui est aussi celui de l’écrivain clamant sur la montagne, seul face à César et ses troupes : « Je suis avec le piétiné et l’abattu de vent. »