Vincent Meesen
Centre Pompidou / 28 mars - 28 mai 2018
Tout est question de temporalité et de mise en perspective dans l’oeuvre de Vincent Meessen, à commencer par ses expositions conçues comme un jeu de piste ou, mieux, un puzzle. Chaque élément de celui-ci constitue une part singulière d’un ensemble que l’on devine bien plus large et dont ne seraient montrés que quelques fragments, eux-mêmes issus d’autres recherches. Dans la présente exposition, ces fragments constituent autant de lignes de fuite concourant à la réification parcellaire d’un Mai 68 parisien en s’intéressant, d’une part, au potentiel contenu dans celui qui le précéda à Kinshasa, et, de l’autre, à celui qui se prolongea ensuite à Dakar. Ces rapports entre l’Afrique et l’Europe, et plus particulièrement la France et la Belgique, nourrissent son oeuvre. Tant au Congo qu’au Sénégal, Meessen pointe l’influence incidente et souterraine de l’Internationale situationniste, un des chevaux de bataille qui alimentent théoriquement l’ensemble de son travail. Ce que l’on voit de prime abord sont des moniteurs vidéos, des textes punaisés, des gravures, des dessins, des archives, des photographies, des livres. Dans un espace adjacent est projetée l’installation filmique à écrans multiples, One, Two, Three, (dont la première version a vu le jour dans le pavillon belge de la Biennale de Venise de 2015). La forme de son exposition est, comme toujours chez lui, particulièrement exigeante et requiert de la part du visiteur un certain degré de concentration pour le suivre dans les méandres de sa pensée et surtout dans le labyrinthe de ses références. Quelles qu’elles soient, il tisse entre elles un vaste faisceau de liens, parfois des plus elliptiques, conférant ainsi à sa démarche d’innombrables dimensions, de la plus poétique à la plus sombrement tragique en passant par le politique et l’historique avec une forte empreinte critique de l’héritage colonial. Construite en séquences, l’exposition se déploie en spirale ou sous forme d’origami, souvent à partir de références filmiques – fictives ou documentaires. Se voit ainsi notamment convoqué Jean-Luc Godard avec précisément la Chinoise, où Omar Diop, figure influente de l’avant-garde politique et artistique à Dakar, joue son propre rôle de militant maoïste. Mort en captivité à la prison de Gorée, victime de la répression du régime de Léopold Sédar Senghor, sa figure hante l’exposition, comme celle de Senghor d’ailleurs, dont Meessen souligne les excellentes relations qu’il entretenait avec le président Pompidou. On pourrait croire que la boucle se refermera sur ces images ; pas uniquement, car elles permettent à Meessen de rebondir par ailleurs, en continuant à tisser des liens entre histoire et contemporanéité, répression et compromissions, analyse et critique. Le temps et les années ont fait leur effet, et Meessen agit comme un lanceur d’alerte mémoriel, posture plutôt rare pour un plasticien.
Bernard Marcelis ——— Vincent Meessen’s work is all a question of temporality and putting things in perspective. The process begins with his exhibitions, which he designs as a sort of treasure hunt, a jigsaw. Every element of the exhibition forms a unique part of a whole which is clearly much greater. We are only shown a few clues – and these have been unearthed through other quests. In this show, each of these clues is a sort of perspective line which helps to open up our compartmentalised concept of ‘Paris in May 68’ by focusing on the energy embodied in both a predecessor protest movement in Kinshasa and a succes- sor in Dakar. Meessen’s work is informed by these ties between Africa and Europe – especially Belgium and France. In both Congo and Senegal, he highlights the relevant, underground influence exercised by the Situationalist International: one of several recurrent focuses in his work which feed into his entire oeuvre. At first we see video screens, texts pinned up, engravings, drawings, archives, photographs and books. Then the film installation One, Two, Three is projected onto multiple screens in an adjoining space; it premièred in the Belgian Pavilion at the 2015 Venice Biennale. As always with Meessen, the form this exhibition takes is particularly challenging: the visitor needs to concentrate in order to follow the twists and turns of his train of thought, especially when navigating through the labyrinth of references he makes. He weaves a wide web of often-elliptical connections between these references, ensuring his work has many facets. These range from highly poetic to bleakly tragic, passing through politics and history and reflecting the deep, crucial impression made by the colonial legacy. The exhibition is structured in sequences forming a spiral, or in origami format, often using film references as a springboard, both fictional and documentary. Hence Meessen summons the spirit of Jean-Luc Godard’s film ‘La Chinoise’, in which Omar Diop, a key Senegalese figure who was influential in both the political and artistic avant-garde in Dakar, plays himself: a Maoist militant. Diop died while imprisoned on the Island of Gorée, a victim of President Léopold Sédar Senghor’s repressive regime; his figure and Senghor’s both haunt the exhibition. Meessen also picks out the close relationship Senghor enjoyed with President Georges Pompidou. Do these images close the loop on this spiralling exhibition? Not entirely. They are also a searchlight which Meessen shines out in other directions, all the time making connections between history and the present day, repression and necessary compromise, analysis and criticism. Meessen is rare among visual artists in acting as a whistleblower for our collective memory, taking a stand against the passage of time and tide.
Translation, K. Sanderson