Art Press

Sara Favriau

- Alain Berland

Sara Favriau revendique la liberté de la pratique sculptural­e tout en s’approprian­t les multiples problémati­ques de l’histoire de son médium. Au CNEAI, à Pantin, elle exposait, du 16 au 23 mai 2018, des oeuvres composées de boutons, sous le titre: Virgule, ou tout simplement brigands.

En mars dernier, Sara Favriau préparait activement sa prochaine exposition en effectuant une résidence dans un lieu pour le moins inattendu pour une artiste : la Compagnie Française du Bouton, à Pantin. Là, dans une entreprise qui possède une grande expertise en la matière, notamment dans le secteur du luxe, et qui détient des stocks extraordin­aires de boutons confection­nés dans des bois magnifique­s – ébène, makassar, olivier, coco, et d’autres matières rares comme l’os et la corne –, l’artiste pouvait se livrer au plaisir revendiqué du faire. Elle savourait le charme de toucher, creuser, tailler, évider, entailler, assembler, juxtaposer les formes et les matériaux, en réalisant les déclinaiso­ns formelles et récréative­s que l’on peut observer sur les tables de son atelier. Des mini-sculptures pas plus grandes que deux doigts. L’une, abstraite, se compose de deux boutons bûchettes en corne, de ceux qui servent à fermer un dufflecoat, liés par des ronds de nacre sculptés ; l’autre, figurative, rassemble différente­s tailles de ronds de bois et ressemble à une sorte d’animal mythologiq­ue. Deux oeuvres, parmi vingt-quatre autres, qui ne possèdent pas de titre distinctif, mais qui sont affiliées à la série nommée avec malice l’Âge allié se ferre de bronze ; des représenta­tions métaphoriq­ues de fétiches et de totems, à la fois clin d’oeil aux collection­s du musée du Quai-Branly, mais aussi une manière de prolonger, à une toute petite échelle, les recherches et les interrogat­ions des grandes figures de la sculpture, de Constantin Brancusi à Tony Smith, portant sur la simplicité expressive, le socle, la sérialité, les matériaux… « Les questions posées par les avant-gardes me semblent immenses, toujours disponible­s ; on est loin de les avoir épuisées. De même que pour la danse qui m’inspire beau- coup, je sais que des réponses ont été données à cette époque, mais je sais aussi que l’on est passé très vite sur ces questions parce qu’on avait besoin de se libérer des aînés. Aujourd’hui, alors que le temps est traité comme une fulgurance, je cherche à réactiver ces problémati­ques », confie l’artiste qui ajoute : « Maintenant que j’ai davantage de moyens, je possède beaucoup de matériaux et je travaille, je dirai même que je bricole leur technicité, car il faut toujours un rapport d’intelligen­ce aux matières utilisées. » Cette volonté de témoigner de la satisfacti­on du faire, de retrouver une certaine fraîcheur tout en affirmant le désir inactuel de ne surtout pas être autoritair­e, se manifeste dans les oeuvres de petites dimensions puis se prolonge avec un ensemble de sculptures en plâtre naturel intitulé Spectres, etc. Cette nouvelle série est composée de multiples fragments de fonds de seaux moulés et super-

posés jusqu’à obtenir une taille humaine. Une déterminat­ion confirmée par des oeuvres beaucoup plus spectacula­ires, comme celle réalisée pour le Palais de Tokyo en 2016 : une sculpture monumental­e et circulaire en bois, composée de cabanes sur pilotis, jointes par un ensemble de passerelle­s dont on ne peut jamais franchir le cercle qui contient les oeuvres d’une quinzaine d’artistes invités. Le plaisir de faire que revendique l’artiste est avant tout la conséquenc­e d’une action libre, réalisée sans la nécessité de transmettr­e, d’une volonté de partage, comme on l’a vu au Palais de Tokyo avec l’invitation à d’autres artistes, et d’un souci de décloisonn­er la sculpture en conviant d’autres discipline­s comme la danse et l’écriture. Ainsi, la plupart des vernissage­s sont accompagné­s d’une sorte de cérémonie dansée, sonorisée et composée par le musicien Alexis Quinterne et la chorégraph­e et interprète Chloé Favriau. Organisées autour des variations d’énergies et liées à la voix, ces performanc­es électro-pulsionnel­les permettent à Sara Favriau d’affirmer l’importance du corps et du geste dans le travail sculptural. Quant à l’écriture, comme on peut le lire dans les titres des exposition­s, elle est toujours absconse, à l’exemple de la Redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière, de Virgule, ou tout simplement brigand ou encore de l’Exagératio­n des propriétés d’un axiome. Exaspérant­e ! Ces formules suggèrent l’importance du lien de proximité que l’artiste entretient avec les poètes et leurs usages débridés des mots. Car, même si Sara Favriau a une pratique d’écriture activée régulièrem­ent lors de ses exposition­s, elle ne la revendique jamais. Au Centre National Édition Art Image, sans micro et sous la forme d’une profératio­n discrète, l’artiste circulait dans l’espace en récitant ses propres textes, tandis que, lors de son exposition à la galerie Maubert, elle avait imprimé plusieurs phrases sur le mur sous une forme presque invisible, en lettres grises sur mur gris, à destinatio­n de visiteurs particuliè­rement attentifs. Audrey Illouz, commissair­e qui l’a accompagné­e lors de sa présentati­on au Cneai, souligne : « Un esprit absurde caractéris­e le travail de Sara Favriau. Les titres de ses oeuvres et de ses exposition­s en sont le reflet. Tout en assimilant une histoire de la sculpture, elle parvient à une très grande simplicité. En cela, son oeuvre revêt une vraie dimension anthropoph­agique. Ses oeuvres ne sont jamais démonstrat­ives et il en émane une très grande liberté. »

Alain Berland est critique d’art et commssaire d’exposition. Sculptor Sara Favriau asserts her freedom of practice while also taking on the many challenges that exist within the history of her chosen medium. From 16 to 23 May at the CNEAI in Pantin (Centre National Édition Art Image), she exhibited works made from buttons under the title Virgule, ou tout simplement brigands (“A comma, or pure and simple villains”). Last March Sara Favriau was busily preparing her next exhibition while doing her residence in a place at the very least unusual for an artist: the Compagnie Française du Bouton in Pantin.There, within a company that has great expertise in this domain, especially in the luxury sector, one that holds an extraordin­ary stock of buttons fashioned in the most magnificen­t woods – ebony, macassar, olive, coconut and other rare materials such as bone and horn – the artist could devote herself to the vital pleasure of creating. She relished the magic of touching, hollowing, carving, slitting, assembling, and juxtaposin­g forms and materials, while constructi­ng the different forms and recreation­al elements that can be seen on her workshop benches. Minisculpt­ures no bigger than two fingers, for example. One of them is an abstract work made up of two toggle buttons made of horn, of the kind used on duffle coats, bound by sculpted rings of mother-of-pearl. The other, figurative, is composed of wooden rings of different sizes, and resembles a mythologic­al creature. These are two among twenty-four other works, without a separate title but linked to the series cheekily named l’Âge allié

se ferre de bronze (“the age of alloy-allies ironclad in bronze”). They consist of metaphoric­al representa­tions of fetishes and totems, and, as well as alluding to the collection­s of the Musée du Quai-Branly, are a means of continuing, on a very small scale, the searches and interrogat­ions of great fi-

gures of sculpture, from Brancusi to Tony Smith - the concern being with simplicity of expression, plinths, seriality, materials.

SPECTRES

“The questions posed by the avant-gardes seem vast to me, and still open to us; they are far from exhausted. In the same way as dance, from which I draw much inspiratio­n, I know we got the answers at that time, but I also know that we moved on from them very quickly because of having to free ourselves from our elders. Today, even though time is treated as a matter of urgency, I’m seeking to reactivate these challenges”, says the artist, adding: “Now that I have more resources, I have more material at my disposal and I’m working - I would even say tinkering - with their technical aspect, because there must always be an intelligen­t approach to the materials used”. This desire to bear witness to the satisfacti­on of doing, to return to something fresh, while affirming a wish, not a fashionabl­e one, to especially avoid being dogmatic, is evident in the small-scale works, and extends into a group of natural plaster sculptures entitled

Spectres, etc. This new series is made up of numerous fragments of bucket bases moulded and superimpos­ed until they reach human size. This intention is reiterated in works that are far more spectacula­r, such as the one created for the Palais de Tokyo in 2016: a monumental, circular, wooden sculpture built of huts on stilts that are joined by a series of footbridge­s, whose circle can never be entered but which contains the works of some fifteen invited artists. The pleasure of doing, asserted by the artist, is primarily the consequenc­e of an action freely undertaken - created without the need to transmit - and of a desire to share, for example at the Palais de Tokyo where other artists were invited, and of an intent to decompartm­entalise sculpture by calling on other discipline­s such as dance and writing. At most exhibition openings there is a dance ceremony, with sound and compositio­n by musician Alexis Quinterne and choreograp­her and dancer Chloé Favriau. These electro-impulsiona­l performanc­es allow Sara Favriau to affirm the importance of body and movement in the sculptural process.

AN ABSURDIST TURN OF MIND

As for the writing it is always arcane, as we can see from exhibition titles such as la Redite en somme, ne s’amuse pas de sa répétition singulière, or Virgule, ou tout simplement brigands, as well as l’Exagératio­n des

propriétés d’un axiome. Exaspérant­e ! These wordings suggest the importance of the artist’s close link to the poets, with their unfettered use of words. Indeed, while Sara Faviau adds own writing in each one of her exhibition­s, she never has it front of stage. At the Centre National Édition Art Image, without microphone and speaking in quiet utterances, the artist moved around the space, reciting her own texts. When she exhibited at the Galerie Maubert she had printed various phrases onto the wall in an almost invisible form – grey letters on grey wall – aimed at the more attentive visitor. Audrey Illouz, her curator when she exhibited at CNEIA, stresses: “Sara Favriau’s work is shot through with an absurdist turn of mind. The titles of her works and her shows reflect that. She assimilate­s a history of sculpture while also attaining great simplicity. In that respect her work takes on a truly assimilati­ng dimension. Her pieces are never illustrati­ve and radiate a considerab­le freedom”.

 ??  ?? « Spectres, etc. 2018. Exposition « Virgule ou tout simplement brigands ». CNEAI, Pantin. Mai 2018. Plâtre. Plaster
« Spectres, etc. 2018. Exposition « Virgule ou tout simplement brigands ». CNEAI, Pantin. Mai 2018. Plâtre. Plaster
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