OEuvres: Yo-Yo Gonthier, Des ânes et des lions ; Denis Darzacq, Act 50 ; John Gossage, The Last Days of Fontainebleau; Silvana Reggiardo, Sans titre no8
Lagos, Nigéria. Le marché de Balogun est accroché à un bâtiment de vingt-sept étages, le Financial Trust House qui accueillait banques et sociétés occidentales avant d’être déserté dans les années 1990. La fascination de Lorenzo Vitturi pour Balogun est née du contraste entre le tentaculaire marché à l’extension inexorable et le vide fantomatique de l’édifice où seul demeure occupé le bureau du propriétaire. Le photographe italien né en 1980, invité pour une résidence par Azu Nwagbogu, directeur de l’African Artists’ Foundation, s’est rendu sur place pendant trois années consécutives. Il s’est appliqué à recomposer l’atmosphère débordante et chaotique de Balogun en croisant les langages et en hybridant les disciplines.
SCULPTURES Recréant l’anatomie même de la foule qui se presse quotidiennement, il réalise des photographies du marché en surplomb ou des collages découpés au laser. Pour définir avec plus d’acuité l’identité d’un tel lieu, Lorenzo Vitturi se penche également sur la diversité des produits qui y sont vendus. Il en fait des installations sculpturales qu’il photographie dans son studio londonien. Seaux en plastique, tapis, chapeaux, bols, ballons et tissus composent des ensembles colorés disposés en équilibre précaire. Ces objets de consommation courante sont entremêlés et empilés, leur aspect utilitaire est gommé pour ne plus être que forme abstraite à l’image de la photographie Untitled (Cotton) où le délicat flottement d’un drapé devient sculpture. L’un des sujets du projet de Vitturi apparaît en soustexte. Toutes les marchandises vendues à Balogun sont made in China. « Même les tissus traditionnels nigérians ont été copiés et sont vendus aux personnes qui les ont créés à l’origine [...] À Balogun, vous êtes confrontés à l’élan imparable du capitalisme mondial », explique le photographe. C’est, isolé du tumulte du marché, que Vitturi compose portraits et décors dans un studio de fortune au sein du Financial Trust House. White Tarpaulin, Chinese Cloth and Ewe Agoin ; Plastic Blue Thread and Red Praying Mat ; Honey, Magenta Basket and Red Tarpaulin : l’inventivité de ces corps portant des marchandises, véritables sculptures involontaires, se révèle proche de l’esthétique du photographe. « En me concentrant sur la personne, et non son visage (ce qui était au départ des décisions personnelles), j’ai poussé à l’extrême l’idée que les gens ont une relation très forte avec les objets qu’ils
vendent et comment l’hyperproduction prend le pas sur l’espace vital. » Et d’ajouter : « Dans mes portraits, il n’y a pas de différence entre l’organique et le non-organique. » En contrepoint, tout n’est que silence et apocalypse à l’intérieur du bâtiment. Recouverts de sable du Sahara, une bouteille d’eau ou un ordinateur ne sont plus que monochromes de gris au titre métonymique: 8th Floor Internal View, 7th Floor Internal View. Money Must Be Made (2017, SPHB) est donc dans la continuité du précédent livre de Lorenzo Vitturi – Dalston Anatomy (2014, SPHB) – qui portait sur la gentrification du marché local de Ridley Road, à l’est de Londres. Au marché de Balogun, c’est une situation exactement symétrique qu’il rencontre, une « gentrification inversée ». La mutation des environnements urbains par la circulation des personnes et des objets est ainsi au centre de sa pratique photographique. Métaphore du marché, Money Must Be Made est porté par la force de cette affirmation, faisant écho à la créativité des habitants de Lagos dont les paroles émaillent le livre.
Le travail de Lorenzo Vitturi est présenté sur le stand de la galerie Flowers.