Créée en 2003, 2, impasse Lebouis à Paris, la Fondation Henri Cartier Bresson s’installe au 79, rue des Archives et inaugure ce nouveau lieu, plus central, grand et modulable, avec l’ouverture, le 5 novembre, d’une exposition consacrée à Martine Franck.
interview par Étienne Hatt
Je souhaite poursuivre avec vous mon tour d’horizon des institutions photographiques parisiennes. François Hébel La Fondation Henri CartierBresson est-elle une institution ? Elle est privée. Son fonctionnement est différent et, grâce à la générosité d’Henri Cartier-Bresson, de Martine Franck et de leur fille Mélanie, les fondateurs, elle est très indépendante. Agnès Sire C’est la collection qui fait l’institution. Or, celle de la FHCB est la plus complète au monde concernant Cartier-Bresson et Martine Franck et il existe peu de collections autonomes aussi importantes. Nous conservons 50000 oeuvres auxquelles s’ajoutent la correspondance et de nombreux livres et documents.
Cette collection est-elle bien connue?
AS Cartier-Bresson ne voulait pas que l’on fasse de cette fondation un mausolée pour son oeuvre. Les recherches documentées grâce à nos riches archives ont pu commencer quand la fondation a ouvert ses portes en 2003. Elles ont abouti à des expositions conduites par des générations successives de commissaires qui ont proposé des lectures différentes du fonds: à la BnF en 2003, au MoMA en 2010, au Centre Pompidou en 2014. C’est la seule fondation française dédiée à des photographes. Cartier-Bresson et Martine Franck avaient-ils un modèle ? AS Aucun. Au vu des fondations d’artistes reconnues d’utilité publique existantes, on leur a conseillé d’être très ouverts, avec des expositions temporaires d’autres artistes, ce qui renouvelle la curiosité. OBJETS PHOTOGRAPHIQUES Comment qualifieriez-vous la ligne artistique de la fondation? AS J’ai toujours fait les expositions dont j’ai envie et dans la mesure des moyens dont nous disposons. FH T’es-tu confrontée à l’oeil de Cartier-Bresson, à son goût ? AS Non. FH Mais tu as exposé des photographes proches de lui. AS Peut-être, mais c’est une convergence de goûts et jamais une demande. Nous avons d’ailleurs souvent montré Cartier-Bresson dans le cadre de confrontations. FH Plus généralement, Agnès a un appétit pour ce qu’elle appelle des objets photographiques, c’est-à-dire de beaux tirages. Elle a toujours exercé un choix rigoureux, contraint par la petitesse du lieu d’origine mais aussi par son oeil-couperet qui cherche l’image la plus intéressante dans le tirage le plus parfait. La fondation a surtout montré des photographes du 20e siècle, mais il y a eu aussi des incursions dans le 21e. Le Prix HCB est, par exemple, une production contemporaine. AS Il y a quinze ans, une photographie était encore souvent un simple élément de récit dans un récit. On tirait sur mesure, en fonction de la taille des murs. Ce qui était alors assez nouveau, c’était de montrer systématiquement des tirages d’époque et d’indiquer aux regardeurs ce qu’ils avaient sous les yeux. La presse ou le livre sont aussi des modes d’existence de la photographie, notamment pour Cartier-Bresson. Votre approche est-elle proche de la sienne? AS Il est devenu moins bon quand il a commencé à travailler dans la presse. Il était le premier à le dire. La presse est un marché qui impose un discours, des conventions pour séduire les lecteurs. Ne surtout pas chercher à séduire, pour un artiste, devrait être une loi morale. La fondation exerce-t-elle un droit moral sur les oeuvres de Cartier-Bresson et Martine Franck? AS Magnum assure la diffusion des images et nous demande l’autorisation pour tout usage particulier ou recadrage. FH Bien recadrer n’est pas trahir CartierBresson qui n’était pas contre le recadrage mais seulement contre le mauvais. Il disait toujours qu’Alexey Brodovitch, grand directeur artistique, était l’un des seuls à savoir recadrer. C’est pourquoi il avait fini par imposer le filet noir autour de l’image. Cela a souvent été pris comme un dogme alors que ce n’était qu’une protection tardive, à partir de la fin des années 1960. AS La veille porte sur le copyright mais aussi sur la vente des tirages. Il y a des tirages volés par le passé à Magnum, des faux de temps en temps. Mais, depuis que la fondation existe, notre vigilance a porté ses fruits. CHANGEMENT D’ÉCHELLE Dans quelle mesure ce déménagement représente-t-il un changement d’échelle pour la fondation? FH Les petites salles du 2, impasse Lebouis limitaient les formats présentés. Mais Agnès a joué de ces contraintes en montrant, par exemple, les petits formats de Jeff Wall. Il était aussi sous-dimensionné quand l’exposition remportait du succès. Ce nouveau lieu offrira davantage de confort au public et permettra de montrer des expositions plus variées. La grande salle et ses cimaises mobiles sont d’une incroyable souplesse. Enfin, on est au centre de Paris. Combien de visiteurs accueilliez-vous? FH Entre 50000 et 100000 par an et nous ne savons pas combien viendront, d’autant que nous serons davantage ouverts et que nous aurons quatre expositions par an au lieu de trois. Nous avons conçu ce lieu pour qu’il propose une diversité de choses autour d’auteurs plus que d’expositions thématiques. AS Je rêve d’en faire mais, pour différentes raisons, elles sont plus complexes à monter. FH Nous allons aussi multiplier les activités culturelles et développer le travail avec les scolaires. Nous allons progresser lentement, trouver les bonnes personnes, la bonne définition de chacune de nos actions. Le rôle de la fondation est aussi international. Nous pourrons exporter nos expériences et propositions parisiennes, notamment vers la Chine ou l’Inde, que Cartier-Bresson a photographiées mais où il a été peu montré. AS La mission première de la fondation est le rayonnement des oeuvres des fondateurs. Cartier-Bresson, avant sa première exposition au Louvre, en 1955, avait déjà exposé à New York, trois fois, Mexico et Londres. Il a toujours été un citoyen du monde. FH Il faudra être très précis dans ce que l’on va diffuser et bien l’accompagner. Ce sera très différent de ce que je faisais aux Rencontres d’Arles où mon territoire était unique et nécessitait une grande variété de propositions pour attirer le public. L’exposition d’ouverture est consacrée à Martine Franck, une photographe assez discrète. AS À Magnum, elle pâtissait d’être l’épouse de Cartier-Bresson. FH Il y a eu des expositions de Martine autour des bonnes photographies qui n’avaient pas bénéficié du même travail de fond. Agnès a fait un travail sur le fonds qui donne vie à un parcours de véritable photographe. Le programme des expositions suivantes comprend Guy Tillim, Prix HCB 2017, puis Wright Morris, détour, dont nous sommes coutumiers, vers les États-Unis… Cette programmation d’ouverture est très représentative. Elle est assez classique, tournée vers des personnages historiques ou bien installés. Quelle place la fondation peut-elle faire aux jeunes? FH On expose les gens trop tôt. Mais, à vrai dire, l’âge m’indiffère, c’est la maturité qui compte. La question du jeune n’est pas intéressante. Celle des nouvelles générations d’artistes l’est. Il faut en montrer et nous aurons plus de latitude pour le faire, notamment après la réhabilitation du sous-sol. AS Même si les jeunes candidatent peu, le Prix HCB est ouvert à tous les photographes et nous voulons produire, avec une autre institution, des travaux créatifs d’auteurs plutôt jeunes. FH Il faut aussi se dire que Cartier-Bresson avait entre 20 et 40 ans quand il a fait, selon Agnès, ses meilleures photographies. On doit parler aux gens qui ont aujourd’hui entre 20 et 40 ans et non les impressionner avec la figure écrasante du maître. Les « perles des archives », sur le parcours de visite, y contribueront. Elles permettront de cerner l’état d’esprit de celui qui est allé changer de point de vue sur le monde et resta toute sa vie un jeune homme. ÉMULATION Que sont ces « perles des archives » ? FH Il y en aura plusieurs, sous la forme d’affiches. Elles se renouvelleront à chaque exposition. Elles feront le lien avec le premier étage, où seront conservés les fonds. Les perles incarneront Cartier-Bresson plutôt qu’elles ne le momifieront. On pourra se demander pourquoi il n’a pas fait d’autoportrait, pourquoi la notion d’instant décisif lui colle injustement à la peau… Notre mission de conservation est aussi curatoriale. Quelle est la place de la fondation dans le contexte parisien?
FH Elle a précédé de nombreux autres lieux. AS Nous étions pour l’instant un peu à l’écart géographiquement. Nous occuperons désormais une place plus centrale, mais la FHCB a vite trouvé une place et un public. FH Nous aimerions que la fondation soit un lieu d’échange et de réflexion, un lieu de référence qui fasse avancer la connaissance de la photographie pour un public qui, en ce moment, manque un peu de repères. Elle proposera des façons nouvelles de regarder la photographie. C’est un programme ambitieux qui recoupe celui d’autres lieux dédiés à la photographie. N’y a-t-il pas risque de concurrence ? FH La photographie est, comme ça l’a toujours été, une pratique plaisante qui produit une majorité de choses peu intéressantes mais elle est, en ce moment, tellement ouverte qu’il y a suffisamment de place pour que les lieux parisiens fassent des propositions complémentaires et dessinent, au contraire, un parcours extraordinaire. À New York, pourtant ville pionnière, il y a de très bons marchands et le MoMA, mais pas l’équivalent de ce qui se passe à Paris. Cette émulation est une chance. AS Il faut que chacun trouve son identité, qui n’est pas dans les murs. La concurrence risque de porter sur les programmes d’expositions, mais pas sur la programmation culturelle. Cette effervescence actuelle est-elle uniquement institutionnelle? FH Ce ne sont pas des institutions, mais des personnalités et du tempérament qui donnent à Paris et à la France cette singularité dans le domaine de la photographie.