Frédéric Valabrègue
Une campagne P.O.L, 240 p., 18 euros
« Les proportions du village tiennent dans la main. » Ainsi s’ouvre Une campagne de Frédéric Valabrègue. La première phrase est toute simple (la dernière sera terrible). Toute simple mais: les « proportions », non les dimensions. Le conteur possède un art subtil des rapports. De la conjugaison des temps, également: le lecteur passera imperceptiblement de l’indicatif au conditionnel, du présent au futur. Comme du local au général, du paysage à l’intime. La tonalité moirée chez Valabrègue est celle du scepticisme, de l’empathie (surtout pour les femmes) et de l’humour. C’était déjà le cas avec Grant’autre (2015), son précédent roman, celui-ci « exotique », aujourd’hui bien français. Visuellement, le mode de fonctionnement du récit évoque pour moi celui du « flipper » : une boule (les « coups » d’une campagne électorale municipale) lancée sur un tableau (le territoire provençal) provoque chocs et rebonds, allume et éteint des bornes. Le trajet du projectile est imprévisible, brutal et sinueux, rythmé de suspens et d’accélérations, d’hésitations et de fatalité. Littérairement, le récit est contenu dans une dramaturgie : une « héroïne » (Denise, la directrice de l’école communale, militante, célibataire) et un « choeur » qui commente ses actes. Dans ce choeur, du noir, du souriant (la soeur, notamment, véritable miroir inversé de Denise). Cette composition chorale est ce qui distingue, si l’on veut, Une campagne de la Carte et le Territoire de Michel Houellebecq. Il n’est pas exagéré de dire que Valabrègue donne une description fouillée des coins et recoins du paysage et des âmes. Il ne sillonne pas le territoire, il opère une « battue ». Il y a dans cette campagne française des « esprits », il y a dans les vallons des caches. On commence la lecture doucement, on est pris, entraînés, on rit, on a peur.