Gilles Berquet, Michel Onfray
Le Fétiche est une grammaire Loco, 264 p., 55 euros
Depuis 37 ans, Gilles Berquet « fabrique » les images qui vagabondent en lui, artisan illusionniste plutôt que photographe reproduisant la réalité. Il vient des beaux-arts et a abordé la photographie en autodidacte, s’emparant de l’argentique et des modèles féminins pour créer des fictions étranges comme des songes. Les fantômes d’Irving Klaw, de Molinier, de Bellmer l’ont visité, de toute évidence. Ses muses marchent, vertiges cambrés, sur les traces fétichistes des créatures de John Willie. Créatures mutantes, qu’il dompte dans l’écrin intemporel de ses ateliers truqués, redonnant vie à des accessoires chinés, détournant l’attirail SM habituel pour semer un trouble entêtant. Le procédé numérique, à partir de 2007, l’a fait évoluer vers la couleur et plus de dépouillement. Excepté escarpins ou cuissardes, complices aiguillons de l’imaginaire, les femmes se libèrent davantage des corsets, révélant bourrelets de chair, plis, marques, cicatrice d’un sein mutilé. Son dernier livre, qu’il a lui-même conçu à partir de ses archives, raconte ces expérimentations, depuis le parquet troué de l’appartement parisien des débuts, d’où émergeait un visage avide d’ondines jusqu’à la spectaculaire hauteur de plafond de l’atelier de Clamart et ses larges tentures sombres. Le Fétiche est une grammaire évite le piège mortel de la monographie. Pas de biographie convenue qui figerait l’artiste, pas de thématiques ni d’intentions soulignées, mais un nouveau voyage, juste traversé d’un texte de Michel Onfray. Berquet distille des parfums secrets. On se perd dans la contemplation hypnotique des mailles d’un bas résille, la vibration d’une mèche de cheveu, le rouge cramoisi d’une bouche ou la présence incongrue d’un manuel d’art culinaire « moderne », plus menaçant sans doute que l’appréciable gode noir posé sur une table basse.