Les crânes, les côtes, les fragments de carcasses ne se discernent qu’après un effort de concentration. Ce all-over trouble ; il attire autant qu’il révulse. Le rythme de ses lignes serpentines et contrastées envoûte, il rappelle les signes hypnotiques nés des gestes expressionnistes abstraits. La précision documentaire des os, des poils, des déchets agit ensuite comme une piqûre de guêpe et exhume de notre mémoire les visions d’horreur de charniers. Ces ânes ont été donnés en pâture à des lions, dans un zoo, à Bamako au Mali. Dans les contes et les fables, les animaux incarnent nos travers et nos qualités, nos passions et nos haines. Ces traces réelles et prosaïques de dévoration convoquent les orgies et les carnages et nous poussent au questionnement : ce point de vue vertical, surplombant et dominant, fait-il de nous les complices voyeurs de ce jeu de pouvoir ? Avons-nous participé au massacre ou à la bacchanale? Comme souvent dans l’oeuvre de Yo-Yo Gonthier, artiste français né en 1974, s’entrelacent poésie et politique, merveilleux et manifeste. Les tensions formelles exacerbées par l’opposition entre stabilité et mouvement, entre espaces clairs et obscurs, agissent comme les nerfs des forces dialectiques propres à l’histoire de l’humanité. Ses photographies invitent à la contemplation et au cheminement : se perdre dans le dessin pour s’engager dans la recherche de sens. Du visible concret surgissent les chimères, empêtrées ici dans la lutte immémoriale entre bestialité et civilisation. Des ânes et des lions, nature morte ou vanité aux scintillements d’argent, a été présentée au sein de la Cour (2017), une installation photographique issue de la collaboration entre Yo-Yo Gonthier et le photographe FrançoisXavier Gbré. Collées sur les murs d’un ancien cinéma aujourd'hui réhabilité, en Off de la Biennale africaine de la photographie à Bamako, les images proposées cherchaient, selon les deux artistes, « la résonance d’une pensée commune », inconscient collectif en deçà des particularismes.
OEuvre à retrouver sur le stand de la galerie Cécile Fakhoury.