Richard Texier, élastogénique
Richard Texier Manifeste de l’élastogenèse Fata morgana, 88 p., 14 euros
Peintre, sculpteur et écrivain né en 1955, Richard Texier publie aujourd’hui un manifeste que complètent un entretien avec Zéno Bianu et un poème « élastogénique » de ce dernier.
Le Manifeste de l’élastogenèse de Richard Texier allie contemplation poétique et réflexion, connaissance existentielle et observation empirique, introspection intime et informations historiques. Sa langue coule avec le naturel de l’eau ou de la respiration, mais à l’instar d’un artiste qui sait gérer les composants de son langage et les contrôler en une composition visuelle. Chaque mot ou concept du manifeste propose installation dans l’espace, comme un film, une partition ou une chorégraphie de couleurs verbales et conceptuelles. On se trouve baigné dans une expérience de stratégie réflexive et d’inventivité par une pratique poétique. L’ouvrage jalonne, par une radiographie du Cosmos, de la Nature et de l’Art, l’élan continu de la Culture, conscience de soi et force de création. Cet élan vers une conscience créative va constamment de l’intérieur vers l’extérieur, pour tout ce qui touche à la Vie du réel. Sa force intemporelle travaille la matière, l’active, engendre les formes. La signification du mot « élastogénèse » suppose de briser l’extériorité du réel, la roide rationalité des idéaux, avec le marteau de Nietzsche : nous libérant ainsi de l’apparence, d’une distraite vision du cosmos, pour, au-delà d’elle, gagner l’enchantement de cette expérience originelle qu’est l’introspection. À scruter les profondeurs de soi, de la matière et des choses, on éprouve, du dedans vers le dehors, la relation CosmosNature, Nature-Pan (Le Tout), Nature-Lumière. On perçoit les formes de la Vie, de l’Histoire, de l’Art, de la Langue et de la Culture à travers une expérience « élastogénique » que l’étymologie du mot éclaire : génique, du grec genesis, élasto, du grec elastiko. L’élastique est souple, malléable, mou, flexible, agile, adaptable, toujours prêt à la mutation, aisément polymorphe, il est une « force onctueuse et intuitive, composante majeure de l’Univers, au même titre que les notions de Masse ou d’Énergie ». Les êtres élastogéniques ne se sclérosent jamais, n’ont pas d’angles, ne sont pas statiques, n’ont pas de forme unique et limitée. Capables de répondre aux influences de l’environnement, leurs caractéristiques les situent d’emblée au coeur de la matière. Cette « théorie de la souplesse » n’est pas bornée par un cosmos virtuel ou un enthousiasme technologique, éventuel dieu technique ou archéologie de la Nature. Non : avec la Nature, l’élastogenèse entretient un dialogue ouvert et durable.
PLASTURGIE DES RÊVES Ce dialogue incarne la Vie sous forme de « plasturgie des rêves », d’« imaginaire du réel », de Naturel au sens profond. Il est ce qui s’auto-invente sans cesse, qui auto-invente, à l’instar d’une Nature environnante qui, dit Héraclite l’Obscur, « kryptesthai philei», aime à se cacher, à occulter ses méthodes d’action « sous, selon les mots de Texier, la splendeur de ses productions ». L’élastogenèse est une mystérieuse force « panthéiste », qui inspire, motive, invente, contrôle le « réel en action », expérience qui peut conduire à modifier notre sensation du réel. Comme l’amour, chez Hésiode, se meut entre le Chaos et la Terre, l’élastogenèse, masse « molle et chaude » opère ouvertement une conversion de l’Art en style de vie, de philosophie et d’action. L’Art alors n’est plus ce produit « fini-final », « Mimèsis-Copie » statique : au coeur de la Créativité, il est mode de vie élastique, autoinventif. Il n’est jamais achevé à la façon d’une représentation finie de l’extériorité d’une chose, ne s’enferme pas dans le narcissisme d’une oeuvre close. Élastogénique, l’Art est un organisme évolutif mais solidement établi, stratégie énergétique active et réactive : la créativité-même, révélation émergente et « élasto-entité ». Fleur qui constamment s’ouvre au Cosmos à travers soi, élastogénique, même fanée, elle ne meurt pas : de ses reliques surgit une autre forme, sans fin. Elle se réinvente constamment face à un nouveau milieu. Elle s’enrichit et enrichit naturellement son espace, pour la survie de l’être « élasto ». L’élastogenèse sait ne pas séparer la Vie de l’Art et prend la Vie pour matériau d’Art élastogénique. Équilibre fécond entre l’élasticité des rêves et la plasturgie de l’imaginaire, elle fertilise son réel et s’y développe, aboutissant à créer un Miracle Panthéiste. On pense ici au mythe de Prométhée, évoqué par Protagoras dans le dialogue homonyme de Platon. On y apprend que c’est grâce aux Arts libéraux (c’est-à-dire au sein d’une libre créativité) que l’occasion fut donnée à l’Homme (mal programmé, au contraire des animaux, il était dépourvu de modèle archétypal) de transformer sa faiblesse initiale en une force élastogénique. Cette absence, chez l’Homme, de déterminisme et d’orientation physique archétypale, lui a procuré une liberté naturelle qui fait songer à Rousseau et aux développements de la modernité. Le Manifeste de l’élastogenèse est la consignation expérimentale de la conscience d’un équilibre entre instinct et humanité, Nature et modernité, critique et évolution.