Art Press

Michaël Ferrier, à l’ami disparu

- Fabien Ribery

Michaël Ferrier François, portrait d’un absent Gallimard, « L’Infini », 256 p., 20 euros

Il y a beaucoup de joie à être le contempora­in d’un écrivain tel que Michaël Ferrier, dont l’oeuvre constituée d’une douzaine de livres est un éloge des identités composites (lire Mémoires d’Outre-mer, 2015), de l’esprit français (sortir par le corps et le verbe du cauchemar de l’Histoire) et du Japon ( Kizu [La lézarde], 2004), où il vit depuis de nombreuses années, enseignant la littératur­e à l’université Chūō de Tokyo. Son Fukushima, récit d’un désastre publié en 2012, leçon magistrale sur le courage citoyen et le mensonge politique, a fait de lui l’un des plus fervents opposants à l’énergie nucléaire, à l’heure où l’humanité tarde encore à prendre la mesure de la menace en cours. Soutenu par Philippe Sollers, qui le publie une nouvelle fois dans la collection L’Infini, Ferrier émeut et enchante de nouveau avec son dernier livre, François, portrait d’un absent, qui est un hymne à l’amitié, jusque dans la brouille : « Il est généreux, il est intelligen­t, il est un peu narcissiqu­e, il est cultivé: oui, tout le monde le sait. Mais surtout, comme une fenêtre, il fabrique une certaine forme de lumière. C’est un flux : il circule à l’intérieur des ombres. » Rencontré en hypokhâgne au lycée Lakanal de Sceaux, où les études sérieuses commencent around midnight, François Christophe, qui deviendra réalisateu­r de documentai­res pour le cinéma et de fictions pour la radio, fut pour Ferrier cet ami qu’un livre se devait de ressuscite­r quelques années après avoir été emporté, un jour de beau temps, avec sa petite fille Bahia, par une vague inexplicab­le d’une île des Canaries.

ANTI-TOMBEAU À l’inouï d’une disparitio­n aussi subite, il fallait un livre fulgurant, écrit dans la vérité d’un dialogue franchissa­nt la mort, un ouvrage où la vie gagne à la fin, parce qu’il y va du sens même d’un engagement envers qui l’on a aimé dès la première vision. Le pathos n’est pas de mise, mais la beauté des rires clandestin­s, la nuit, alors que la ville dort, et les passions partagées comme on se transmet un savoir ésotérique, sur les différents types d’herbes à fumer (pages superbes), sur le jazz (la musique de Thelonious Monk), le saké purificate­ur, le cinéma d’auteur. Ferrier fait ainsi du septième art une force de structurat­ion de son ouvrage, donnant à chacune de ses trois parties le titre d’un film en résumant la substance : les Quatre Cents Coups, Libera me, Breaking the Waves. Il y a donc en ces pages de l’insolence truffaldie­nne, une leçon de ténèbres par Alain Cavalier, un grand amour brisé selon Lars von Trier. À François qui avait réalisé Thierry, portrait d’un absent (1993) sur un homme ayant choisi la rue comme domicile, Michaël offre une oeuvre où la littératur­e est un passe-muraille, une force de retourneme­nt du négatif. L’amitié? Une « présence suraiguë » l’un à l’autre, une profusion de détails, un silence partagé, une paix (parfois contrariée). Enterré au cimetière de Montmartre en 2014, François Christophe est difficile à trouver. Peut-être parce que sa véritable tombe est celle qu’il fallait imaginer en un édifice de phrases permettant de retrouver sa voix, François, portrait d’un absent étant construit comme un anti-tombeau. Au Japon, le blanc est signe de deuil, comme un visage qui s’efface : «Toute cette blancheur, il faut la fureur de l’encre pour l’éteindre ou pour l’apaiser, pour l’éloigner ou la défaire, pour la distiller ou la sublimer. »

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