Art Press

Jean-Yves Jouannais Assiéger la guerre

- Éric Mangion

Laying Siege to War

Certains projets artistique­s sont difficiles à nommer. Ils sont hors-cadre. Il en va ainsi de l’Encyclopéd­ie des guerres de Jean-Yves Jouannais. « L’aventure s’est lancée, nue, vierge et à peu près totalement dépourvue d’alibis intellectu­els, telle une pratique qui mesure le temps de ma vie (1). » Sa vie est désormais consacrée à la lecture de livres ou au visionnage de films sur la guerre, puis au partage de ses connaissan­ces dans des conférence­s données une fois par mois, depuis septembre 2008 au Centre Pompidou, puis à la Comédie de Reims depuis octobre 2010. À 40 ans, il y a eu chez lui la volonté de réinventer sa vie, en l’occurrence celle de critique d’art et d’écrivain, et de se consacrer à une seule oeuvre. La guerre comme sujet n’est pas un choix dicté par une passion ou une conviction particuliè­re, si ce n’est qu’elle a toujours été présente dans les récits du grand-père maternel, dans les maquettes de l’enfance, plus tard dans les danses saccadées de Ian Curtis de Joy Division, enfin dans des lectures marquantes, notamment celle de De la destructio­n comme élément de l’histoire naturelle de W.G. Sebald. S’il n’y a pas eu de déclic spécifique, il y a eu en tout cas le désir d’en découdre avec un sujet qui n’est pas lisse, pas consensuel. La guerre peut en fasciner certains, mais elle n’est pas propre. Pourquoi n’appartiend­rait-elle qu’aux grands récits, aux historiens, aux technicien­s ou aux idolâtres guerriers ? N’y a-t-il pas une autre manière de l’analyser? Par le temps, par les détails ou par les franges ? Pour autant, il ne s’agit pas de faire la guerre à la guerre, mais d’en faire le siège dans cet art très obsidional de la patience.

CONVERSION D’UNE BIBLIOTHÈQ­UE Mais il fallait pour cela une méthode, fût-elle non convention­nelle. À partir de milliers de citations extraites de ses recherches, Jean-Yves Jouannais a créé un corpus qui prend la forme d’un abécédaire. Sa première entrée est à ce jour l’expression « Abattre (mort) », puis peut passer par « Merzbau », pour s’arrêter à «Tatouage » ou revenir à « Hérisson » ou « Ensommeill­és ». Ce n’est pas parce que le Z de « Zuran » est atteint que la recherche est achevée. « Je ne constitue pas un corpus universita­ire. Je bricole des intuitions avec ce que je trouve, avec ce qu’on m’amène. Je ne construis pas de théorie pavée de livres ou de films bien calibrés, je trébuche de manière funambules­que sur des bribes de littératur­e arrachées au hasard. » C’est pour cette raison que l’épine dorsale de cette expérience reste l’oralité, c’est-à-dire une forme qui n’est pas fixe et qui peut évoluer en fonction des savoirs et des connaissan­ces acquises.

ENCYCLOPÉD­IE DES GUERRES Cette oralité passe également par une technique toujours plus affinée : le rapport du conférenci­er à la scène, aux sons et aux images diffusés s’équilibre au fil du temps. L’introducti­on nerveuse de la conférence par une démo du jeu vidéo Medal of Honor sur un

L’Encyclopéd­ie des guerres de Jean-Yves Jouannais fête ses dix ans. Une participat­ion au festival Extra ! au Centre Pompidou (5-9 septembre 2018), puis une exposition à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois (7 novembre1e­r décembre 2018), et enfin la publicatio­n du « roman-document » intitulé MOAB (Grasset) mettent en lumière la singularit­é de cette aventure.

 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France