Georges Mathieu
Galerie Daniel Templon / 8 septembre - 20 octobre 2018
Le galeriste français Daniel Templon poursuit sa propre relecture de son histoire d’aventurier de l’art avec un nouvel élément inédit : sa découverte de Georges Mathieu, à l’âge de vingt ans, en 1965, dont l’oeuvre les Capétiens partout ! était accrochée en haut de l’escalier du Musée national d’art moderne. Six mois plus tard, il ouvre sa première galerie. Presque cinquante ans plus tard, il offre les cimaises de son espace historique de la rue Beaubourg au peintre français le plus célèbre de son temps. Gloire fanée pour les uns, Phénix renaissant de ses cendres pour les autres, Georges Mathieu est en tout cas bien plus solide qu’on voudrait le croire : un ensemble précis et judicieux d’oeuvres des années 19601970 le montre. Certains auraient préféré ses tout premiers débuts, datant du milieu des années 1940, qu’avaient remarqués, entre autres, Michel Tapié, René Drouin et Paul Facchetti. D’autres, la période conflictuelle et polémique avec Jean Degottex, durant la fin des années 1950, à la galerie Kléber. Au-delà d’une première salle attendue, dominée par de jolis tableaux de salon, le grand espace réunit un choix de peintures bien plus riches et complexes. Certes, est suspendue, en majesté, la toile monumentale Écartèlement de François Ravaillac, assassin du Roi de France Henri IV (1960), où domine cette écriture picturale impétueuse et fébrile, plus baroque que lyrique, qui lui assurera un succès public. Mais dans les oeuvres accrochées tout autour, Georges Mathieu témoigne d’un sens de l’expérimentation bien plus complexe et d’une relecture de l’art moderne inattendue. Son sens de la couleur y est ainsi particulièrement étonnant à travers des jeux de contrastes stridents, à l’instar du trait horizontal tout en dégradés alternés de vert et de rose de Nemours (1964). Son utilisation de coulées de peinture pâteuse directement issue du tube afin de cerner des aplats rectangulaires particulièrement prémonitoires (cf. Martin Barré), ainsi que l’illustre Port Royal (1964). Sans compter ces grandes diagonales de couleur pure qui barrent le tableau de part en part sans se soucier de la composition ; Verberie (1965) ou Torque (1965) en sont les exemples parfaits. On y trouve également une relecture de Nicolas de Staël structurant un surprenant Hommage à Vélasquez (1976), ou ses essais de tachismes aqueux comme fond de la peinture Athys (1970). Il faut donc faire l’effort de dégraisser, voire d’effacer mentalement, les effets de style des arabesques crispées qui parsèment la surface de ces oeuvres et le plus souvent les alourdissent – tout comme ces longues diatribes concernant ses rapports à la peinture américaine totalement surfaites – pour se plonger en profondeur dans ce qu’elles développent en propre ; autrement dit, analyser Mathieu pour Mathieu et par Mathieu. Dès lors, chaque peinture recèle des solutions picturales sur la grammaire et le vocabulaire du tableau particulièrement jouissives pour notre regard contemporain. On doit à Daniel Templon d’avoir eu l’audace de nous le faire voir.
Charles-Arthur Boyer
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French gallerist Daniel Templon continues his own review of his adventures in the art world with a rare new element: his discovery of Georges Mathieu, at the age of twenty, in 1965, whose work Les Capétiens partout! was hung at the top of the stairs of the Musée National d’Art Moderne. Six months later Daniel Templon opened his first gallery. More than fifty years later, he offered the walls of his iconic space on Rue Beaubourg to the most famous French painter of his time. An artist with his glory days behind him for some, a phoenix reborn from the ashes for others, in either case Georges Mathieu is much stronger than you might believe. Indeed, this is proved by a precise and judicious ensemble of works from the years 1960 to 1970. While some might have preferred his very early work, dating to the mid-1940s, noticed and appreciated by Michel Tapié, René Drouin and Paul Facchetti, to name just a few; others surely would have preferred the period around the late 1950s, a time of conflict and controversy with Jean Degottex of the Galerie Kléber. Beyond the expected first room, dominated by some lovely Salon paintings, the large exhibition space brings together a choice of much richer and more complex paintings. Undoubtedly the pièce de résistance here is the monumental canvas Écartèlement de François Ravaillac, assassin du Roi de France Henri IV (1960), dominated by this impetuous and feverish pictorial writing—more baroque than lyrical—that would assure him public success. But in the works hung around this painting, Georges Mathieu demonstrates a sense of experimentation that is much more complex, and even reveals an unexpected rereading of modern art. His use of colour is especially surprising through the strident contrasts, like the horizontal line painted in alternating gradations of green and pink in Nemours (1964). His use of paste-like paint squeezed directly from the tube to create rectangular blocks of colour is especially prescient (see Martin Barré), as is the illustrious Port Royal (1964). Not to mention those large diagonals of pure colour that traverse the picture from one end to another without too much concern for its composition; Verberie (1965) and Torque (1965) are the perfect examples of this. Viewers can also find a reinterpretation of Nicolas de Staël’s style structuring a surprising Hommage à Vélasquez (1976), or his water-based tachism as a background to the painting Athys (1970). We must therefore make the effort to clean, or even to mentally erase, the stylistic effects of the tense arabesques that are strewn across the surface of these works and more often than not, weigh them down—just like these long diatribes concerning his relationship to American painting that are completely overrated—in order to dive deep into what they develop in their own right. In other words, we need to analyse Mathieu for Mathieu and by Mathieu. Consequently each painting can be said to contain pictorial solutions in terms of its grammar and vocabulary that are especially satisfying to our contemporary eye. We owe it to DanielTemplon’s audacity for making us see it.