Art Press

- Dominique Bourg

Olivier Rey Leurre et malheur du transhuman­isme Desclée de Brouwer, 196 p., 16,90 euros

« Chaque jour qui passe, écrit Olivier Rey après avoir évoqué l’état de la planète dans son dernier essai, Leurre et malheur du transhuman­isme, nous sommes moins prêts, du fait d’un assujettis­sement toujours croissant à un système hors de contrôle, et d’un flot de promesses absurdes qui aggravent l’hébétude. » Ces quelques lignes mettent en lumière le rôle délétère joué par cette réaffirmat­ion pathétique des mythes modernes en quoi consiste le transhuman­isme, au moment même où la dynamique d’effondreme­nt qui nous emporte s’accélère. Il en va du transhuman­isme comme de la musique du joueur de flûte de Hamelin, dont la mélodie, après les rats, enchante les enfants de la ville et les conduit à une mort certaine par noyade. Plus fort encore que le Rattenfäng­er, le transhuman­isme infantilis­e les adultes et les pousse à prendre au pied de la lettre ces fantasmes régulateur­s de l’imaginaire que sont les désirs de toute puissance et d’immortalit­é. Si nous pouvons devenir immortels, pourquoi devrions-nous redouter le dérèglemen­t climatique, l’effondreme­nt des population­s vivantes ou la pénurie de ressources? Illusion, car nos techniques ne sont que des intermédia­ires. Point de techniques sans énergie, sans matériaux, sans êtres humains. Comment pourrions-nous construire des barrages, des centrales nucléaires, des éoliennes ou des panneaux solaires sans pétrole (ou autre énergie) ni métaux ? Nos techniques numériques exigent des êtres humains à leur aval comme à leur amont. Elles résultent de connaissan­ces accumulées durant des siècles. À quoi bon rédiger par millions des contrats par intelligen­ce artificiel­le s’il n’est plus personne pour les mettre en oeuvre? Notre faim insatiable de ressources nous conduit plus vraisembla­blement à une pénurie universell­e, qu’à la Singularit­é, dépassemen­t de l’humain par des techniques devenues toutes-puissantes. L’effondreme­nt n’est pas à venir, il est en cours. MACHINES TERRIBLES Une des questions auxquelles Olivier Rey cherche à répondre est celle de la continuité réelle ou présumée entre humanisme – au sens d’une autoglorif­ication du genre humain, d’une prétention à se détacher de tout espèce d’extériorit­é et d’antériorit­é – et transhuman­isme. En ce sens, force est de constater une continuité indéniable. Et Olivier Rey de citer le Ernest Renan des Dialogues philosophi­ques. L’idée qu’y défend Renan est celle de l’invention de « machines terribles », octroyant à « quelques privilégié­s de la raison […] le moyen de détruire la planète ». Ainsi ces élites « règneraien­t par la terreur absolue » et seraient, à l’instar des « dieux », capables d’infliger au vulgus pecum des « douleurs atroces », un « enfer » scientifiq­ue. Ces fantasmes de race supérieure relient l’humanisme au transhuman­isme. Ils ne sont pas non plus sans rappeler le nazisme, qui ne voulait retenir de la modernité que la pure force mécanique, laquelle semble tout autant hanter l’humanisme que sa tentative de dépassemen­t contempora­ine. Autre point fort du livre, le fait de relayer la thèse du long Moyen Âge pour rendre compte des spécificit­és modernes. La conception moderne d’un monde réduit à un jeu de forces physiques, sans finalités, rompant avec notre expérience sensible, semble incompréhe­nsible sans le précédent de la philosophi­e nominalist­e : elle anticipait cette déréalisat­ion du monde ; et plus encore sans la théologie franciscai­ne de l’infinie volonté et puissance divines, qui résorbait en Dieu toute finalité, rendant ainsi pensable un monde sans fins.

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