Art Press

Jean-Michel Espitallie­r

-

La Première Année

Inculte, 156 p., 17,90 euros Dans Une autre Aurélia, le sinologue Jean-François Billeter décrivait sous forme de journal l’épreuve du décès de son épouse, Wen, cherchant à comprendre le processus d’une disparitio­n, l’effet de persistanc­e de l’autre en soi, avec soi. C’est ce même mouvement d’expérience de présence modifiée de l’aimée, « assassinée » par un cancer à 55 ans, que note de façon bouleversa­nte le poète Jean-Michel Espitallie­r, alors qu’au même moment, près de chez lui, la rédaction de Charlie Hebdo est décimée. Avec beaucoup de douceur et de colère tenue, l’écrivain consigne l’arrivée de l’impossible, et ce que devient le quotidien, le corps, sans l’autre, sans Marina. On peut penser au Journal de deuil de Roland Barthes, mais l’on se questionne surtout sur le pouvoir des mots face à l’irrémédiab­le, sur la capacité de la littératur­e à en répondre. En cela, comme inventeur de formes et poète très mobile, Espitallie­r trouve un chemin permettant de traverser le temps sans laisser à la mort ni à la sidération le dernier mot. Marina avait souligné des phrases dans le Journal d’Isabelle Eberhardt, reproduite­s ici. Elles forment un merveilleu­x portrait : « Je me dis que l’amour est une inquiétude et qu’il faut aimer à quitter, puisque les êtres et les choses n’ont de beauté que passagère. » Un homme accompagne vers la fin une femme qu’il aime, il est groggy, il est fou, terrorisé, plongé dans un cauchemar lent, mais croit encore en la force de l’inconnu qui surgit : «Tu serres dans ton poing le doigt que je te présente, comme font les bébés. Tu ne le lâches pas. » Arrive l’ultime dépossessi­on, la peur, le calme, la peur. « Personne n’est donc jamais revenu? Même cinq minutes? Même quelques secondes? Le temps d’une étreinte ? Un dernier mot ? Juste un baiser ? (Ceci est une requête.) »

Fabien Ribery

 ??  ??

Newspapers in English

Newspapers from France