Gilles Hertzog
Le Dernier Vénitien
Grasset, 360 p., 20,90 euros Pendant quatre ans, à la toute fin de sa vie, Giandomenico Tiepolo, fils du grand Tiepolo, écrit son testament dans la villa Zianigo, reçue en héritage de son père: 104 dessins magiques de polichinelles. Nous sommes en 1797, la République de Venise vit ses derniers feux. « Cette Suite des Polichinelles signe le faîte de ma vie au service de l’Art. Et je pourrais attendre ma fin prochaine, fort du devoir accompli », écrit Giandomenico dans ses Mémoires apocryphes qui sont, en réalité, l’oeuvre de Gilles Hertzog. Titre : le Dernier Vénitien. Venise ne sera plus ce qu’elle fut. Alors le peintre lui fait ses adieux depuis la terre ferme. Voilà la cité déchue que les Polichinelles « subvertissent » (sur cette série de dessins et leur interprétation, on pourra lire le livre de Giorgio Agamben intitulé Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes). Giandomenico fut le peintre de la fête galante vénitienne, de « la douceur de vivre en sursis », de la « volupté qui s’enlace à la décadence ». Il est aujourd’hui celui de la fin d’un monde: cette fin a commencé. « J’en arrive à l’année 1791. Rien n’avait bougé à Venise. Tout était à sa place. Et rien, pourtant, n’était tout à fait semblable. Quelque chose s’était passé dont l’ombre planait au loin, et qui déjà nous surplombait avant de nous emporter tous », note Giandomenico. Un monde nouveau est à l’oeuvre, il faut le peindre. Ce sera une fresque, le « conservatoire en image des derniers Vénitiens que nous étions au bord de devenir ». Le beau roman de Gilles Hertzog, outre qu’il est ambitieux dans sa forme même qui consiste à rendre la voix d’un grand artiste, est absolument documenté. S’il captive pour son érudition, il envoûte pour la proximité dans laquelle il place le lecteur avec l’artiste et son oeuvre. Hertzog, à sa façon, a peint Venise.
Vincent Roy