Art Press

Ana Mendieta

Jeu de Paume / 16 octobre 2018 - 27 janvier 2019

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Jeu de Paume / 16 octobre 2018 - 27 janvier 2019

Une femme baigne dans un ruisseau, allongée dans l’eau claire. Sa tête est légèrement tournée, pour ne pas faire directemen­t face à une petite chute d’eau. Immobile, Ana Mendieta repose pendant quelques minutes dans cette onde limpide et cristallin­e, comme dans un tableau vivant aquatique et naturel. Ce film, Creek (1974), tourné en super-8 par l’artiste, fait partie des vingt très courts métrages rassemblés par Lynn Lukkas et Howard Oransky, et accompagné­s de photograph­ies qui viennent documenter ce travail peu connu sur l’image de l’artiste cubaine. Cette sélection exceptionn­elle permet de saisir toute la force et la cohérence visuelle de l’oeuvre filmée de Mendieta qui a tourné, sur une période de dix ans à partir de 1970, cent quatre études filmiques. Si l’on s’arrête sur ce tableau vivant, c’est sans doute parce qu’il rappelle le plus directemen­t le corps d’Ana Mendieta, connue pour ses performanc­es mettant en scène violence et mort, dont Rape Scene (1973) ou Death of a Chicken (1972). Une salle dédiée à ce corpus la montre dans une série de films-performanc­es impliquant le sang comme matière première. Tournés entre 1972 et 1975, certains font partie de l’iconograph­ie célèbre de Mendieta, comme Blood Sign ou Sweating Blood, où on la voit de face, en gros plan suant du sang, comme dans une apparition miraculeus­e. Un documentai­re court mais lumineux, réalisé par Raquel Cecilia Mendieta, nièce de l’artiste qui a oeuvré à la restaurati­on de ce précieux matrimoine, fait planer l’esprit de Mendieta dans les salles suivantes, liées à la terre, le feu, l’eau et le corps. Dans une enfilade de tableaux mobiles plongés dans le noir, le corps de Mendieta se virtualise peu à peu dans la figure de la silhouette, image du corps féminin, forme primitive, évocation de la grande déesse mais aussi médiation figurative avec les éléments naturels. Dans ses performanc­es de recouvreme­nt ou d’enfouissem­ent, par des plantes ou des pierres, le corps sculptural fusionne avec la matière terrestre, et prolonge l’idée d’une transactio­n énergétiqu­e et plastique entre forme humaine et nature. Que ce soit lorsqu’elle embrasse un arbre, qu’elle s’immobilise dans l’eau ou que l’image de son corps brûle dans une incandesce­nce rituelle, les « siluetas » (silhouette­s) font de l’image la valeur d’échange entre les éléments. Le corps apparaît dans des sculptures rupestres, sur le sable, orientée vers Cuba, d’où elle dit avoir été « arrachée » par l’exil, ou par l’action du feu, impriment le sol comme une terre brûlée. Les siluetas, réalisées entre 1973 et 1980, forment un ensemble mystique qui plonge loin dans la conception anthropolo­gique des formes choisies par Mendieta. Caractéris­tique de sa dernière période filmée, Ochún, tourné en vidéo en 1981, doit son nom à la déesse protectric­e de Cuba. Elle marque aussi un tournant dans l’oeuvre de Mendieta, qui décédera en 1985 après avoir fait de plus en place à la sculpture, souvent in situ et dans des dimensions monumental­es, comme on a pu le voir parallèlem­ent à la galerie Lelong & Co, où était présentée, notamment, une reconstitu­tion de Sandwoman (1983), silueta en sable et coquillage­s.

Magali Nachtergae­l ——— A woman bathes in a stream, lying in the clear water. Her head is turned slightly, away from a small waterfall. Immobile, Ana Mendieta stays for a few minutes in this limpid, crystal clear water, like an aquatic and natural tableau vivant. This film, Creek (1974), shot on Super 8, is one of the twenty short films brought together by Lynn Lukkas and Howard Oransky, accompanie­d by photograph­s that document the Cuban artist’s littleknow­n film practice. This remarkable selection allows viewers to grasp the force and visual coherence of Mendieta’s filmic work: over a ten-year period beginning in 1970 she made 104 film studies. If this tableau vivant strikes us, it is undoubtedl­y because it directly evokes Ana Mendieta’s body, known for her performanc­es depicting violence and death, such as Rape Scene (1973) or Death of a Chicken (1972). A room dedicated to this corpus reveals the artist via a series of film-performanc­es with blood as the raw material. Shot between 1972 and 1975, some are examples of Mendieta’s celebrated iconograph­y, including Blood Sign and Sweating Blood, where we see the artist face-on and up-close, sweating blood, like a miraculous apparition. A short but insightful documentar­y produced by the artist’s niece Raquel Cecilia Mendieta, who has been involved in the restoratio­n of the artist’s invaluable legacy, allows Mendieta’s spirit to permeate the exhibition spaces, organized around various themes: earth, fire, water and the body. In a succession of moving images immersed in darkness, Mendieta’s body gradually takes form via the figure of the silhouette, the image of a primitive female body, evocative of a goddess but also a figurative intermedia­ry made from natural elements. In the performanc­es where the body is covered or buried, either by plants or stones, the sculptural body merges with the terrestria­l matter and prolongs the idea of a visual, energy-giving transactio­n between the human form and nature. Whether it is when she embraces a tree, lies motionless in water or the outline of her body burns with a ritualisti­c incandesce­nce, the ‘siluetas’ (silhouette­s) render the image the value of exchange between the various elements. In the Rupestrian Sculptures theuu body appears on the sand, pointing towards Cuba—from where she claims to have been ‘torn’ by exile—or is branded onto the soil by fire.The siluetas, created from 1973 to 1980, form a mystical ensemble that plunge deep into the anthropolo­gical conception of the forms Mendieta chose. Characteri­stic of her last period of film work, Ochún, a video shot in 1981, owes its name to Cuba’s protective goddess. It also marks a turning point in Mendieta’s work: she died in 1985 after increasing­ly focusing on sculpture, often in situ and of monumental dimensions, as seen in the exhibition at Galerie Lelong & Co., where a reconstitu­tion of Sandwoman (1983), a silueta made from sand and shells, was shown.

Translatio­n: Emma Lingwood

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« Creek ». 1974. Film super-8. (The estate of Ana Mendieta Collection LLC. Court. galerie Lelong & Co)

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