Philosophie folle ou lecteurs fous? Mad Philosophy or Mad Readers?
Philosophie folle ou lecteurs fous?
Mad Philosophy or Mad Readers?
Jacques Henric
À retenir trois ouvrages qui sont au coeur de l’actualité littéraire et artistique : Nouvelles morales, nouvelles censures, d’Emmanuel Pierrat (Gallimard), la Philosophie devenue folle, de Jean-François Braunstein (Grasset), un numéro de la revue Lignes, « Puritanismes », consacré au néo-féminisme (direction : Michel Surya). La censure, Emmanuel Pierrat, homme de culture et avocat, est bien placé pour en connaître les mille facettes. Il en refait l’histoire, notant que les anciennes censures, devenues obsolètes, ont fait place à celles, plus performantes, que l’on doit aux « ligues de vertu du troisième millénaire ». Ainsi, ce n’est plus l’État et les tribunaux qui tranchent du Bien et du Mal, ce sont les minorités de toutes obédiences qui, via associations, pétitions, réseaux sociaux mondialisés, circuits universitaires, sont aux commandes. La revue Lignes, de son côté, met en lumière les ressorts inconscients et les idéologies qui meuvent les nouvelles Croisées de l’ordre moral. Dans leur quête de la pureté, les néo-puritaines ont un face-à-face mouvementé avec le sexe, cet infracassable noyau de nuit, comme l’appelle André Breton. « Comme toute transcendance, l’art mobilise le sexe, sinon il est mort-né », écrit une des rédactrices de Lignes, Viviane Candas. Allez faire entendre cela aux héroïnes des mouvements #Me-too et #Balancetonporc, à la coupeuse de têtes et de sexes, Sandra Muller (« les sanctions tombent comme un couperet », se réjouit-elle au cours de sa guerre aux mâles), ou à l’inoxydable Laure Murat dont on gardera en mémoire le haut-lecoeur de « dégoût » devant le film d’Antonioni, Blow-Up ! Faut-il rappeler que le mouvement de dénonciation #Me-too a pris son élan aux États-Unis, sur cette terre qui, en 1620, a vu débarquer du Mayflower la bande de puritains affamés qui colonisèrent le pays, bientôt massacrant sans pitié les Indiens qui les avaient accueillis et secourus. Façon d’éradiquer le Mal pour ces « Fous de Dieu » dont on peut soupçonner qu’ils aient laissé quelques traces dans un bon nombre d’universités américaines. On sait par quelles catastrophes se sont terminés les courants millénaristes et utopistes assoiffés de pureté. Instaurer un empire du Bien ne fut jamais de tout repos, ça s’est payé au prix fort en sang humain : chasses aux sorcières, aux blasphémateurs, aux non-croyants, aux mauvais croyants, aux libertins, aux ennemis de classe, aux Juifs… Au nom du Bien, les chasses sont ouvertes 24 heures sur 24. Si la dernière en date, la chasse aux porcs, n’a pas fait couler de sang, elle a démoli des réputations, étant entendu que, selon la rude règle stalinienne, « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ». Jean-François Braunstein, dans son livre la Philosophe devenue folle, a pris un malin plaisir à relever les dingueries suscitées par les débats autour de l’euthanasie, du genre et des droits de l’animal. Ainsi, pour les antispécistes, le cloporte est une personne humaine comme une autre, ayant les mêmes droits. En toute légalité, ma jeune voisine peut convoler en justes noces avec mon frère cloporte. Quant à mon chat, comblé de ses nouveaux droits, il va avoir à respecter des devoirs, dont celui (bonjour les Végans !) de ne pas faire souffrir la personne de soeur souris. Délirants, grotesques, ces scénarios ? Un Kafka pourrait pourtant en faire de passionnants récits. L’ennui est que certains de nos congénères y croient dur comme fer, confondant le réel, le symbolique et l’imaginaire (confusion à l’origine de toutes les censures). Des fous ? Pas vraiment, la folie a ses grandeurs. Je dirais plus volontiers des cons. De dangereux cons.
Jacques Henric
Three recent publications are in the literary and artistic spotlight:
Nouvelles morales, nouvelles censures by Emmanuel Pierrat (Gallimard), La Philosophie devenue folle by Jean-François Braunstein (Grasset), and the issue of the review Lignes titled ‘Puritanismes’, devoted to neo-feminism (edited by Michel Surya). The erudite lawyer Emmanuel Pierrat is well placed to understand the countless facets of censorship. He recounts its history and refers to censorship clauses that are now obsolete and have been replaced by more efficient ones that can be credited to ‘the virtuous leagues of the third millennium’. It is no longer the state or the law courts that decide on Good and Evil but rather minorities of all kinds, who via associations, petitions, global social networks and academic circuits are in command.The review Lignes on the other hand, highlights the unconscious motives and ideologies driving the new Crusaders of moral order. In their quest for purity, these neo-Puritans have a troubled relationship with sex, that unbreakable core of night as Breton referred to it. ‘As with any transcendence, art enlists sex, otherwise it is born dead,’ writes Viviane Candas, one of Lignes’s editors. Go say that to the heroines of the #metoo movement (and #balancetonporc in France), or to Sandra Muller renowned for cutting off heads and genitals (‘the sanctions fall like a guillotine’ she enthuses during this war against men), or to the inflexible Laure Murat whose ‘disgust’ at Antonioni’s Blow-Up! remains etched in memory. It is perhaps worth remembering that the denunciatory #metoo movement took off in the US, in a land where the Mayflower arrived in 1620 with a group of starving Puritans who would colonize the country and soon pitilessly massacre the Indians who had initially welcomed and aided them. This was a way of eradicating Evil by these ‘God lov-ers’ whom we suspect may well have left their mark on a good number of American universities. We know the catastrophes by which certain millenarian and utopian movements have ended, guided by a hunger for purity. Establishing an empire of Good has never been easy, it has been paid for heavily in human blood: hunts for witches, blasphemers, nonbelievers, bad believers, libertines, class enemies, Jews ... In the name of Good, such hunts are open twenty-four hours a day. If the last hunt, the French movement called #balancetonporc (rat out your pig) did not shed actual blood, it did however destroy reputations, on the understanding that according to the harsh Stalinist rule, ‘omelettes can’t be made without breaking eggs.’ Braunstein in his book La Philosophe dev
enue folle takes great pleasure in the craz-iness generated by debates around euthanasia, gender issues and animal rights. For antispecieists for example, a woodlouse is a human being like any other, with the same rights. If that is the case my young neighbour can legally marry with my louse of a brother. My cat on the other hand, delighted with his new rights, will now also have to respect his obligations, including no longer causing harm to his mice sisters (a fine example of Veganism!). Are these scenarios crazy, grotesque? Kafka could have made some fascinating stories. The trouble is that some of our peers believe this to be the truth, thereby confusing reality, symbolism and imagination (the confusion at the origin of all censorship). Are they mad? Not really, madness has a certain loftiness to it. I am more willing to call them idiots. Dangerous idiots.
Jacques Henric Translation: Emma Lingwood