Art Press

Fiona Struengman­n

- Safia Belmenouar

Pratiquant la photograph­ie et le dessin, Fiona Struengman­n ne se contente pas de collecter des images amateur. Pour leur redonner vie, la jeune Allemande n’hésite pas à les retravaill­er, voire les effacer.

« Prenez tout, ou laissez tout derrière vous. » C’est ainsi que Fiona Struengman­n, croisant fortuiteme­nt une vieille dame dans un marché aux puces, a acquis une archive de quelque 7000 photograph­ies rassemblée­s au cours des cinquante dernières années. La collection­neuse n’avait qu’une exigence en échange du don de ces milliers de clichés amateur : les transmettr­e dans leur totalité. L’artiste allemande, née en 1986, se retrouve alors à exhumer des images de boîtes à chaussures ou d’albums de famille datant de l’Allemagne du début du 20e siècle. Fiona Struengman­n interprète cette expérience comme une plongée tant dans l’histoire de la photograph­ie que dans l’histoire de celles et ceux qu’elle nomme les « premiers citoyens photograph­es » : une première génération qui documenta son environnem­ent et sa vie quotidienn­e à l'aide de ce médium. Il s’agit de « moments qu’ils voulaient garder comme des souvenirs silencieux », précise-t-elle. Modelant cette matière en une oeuvre personnell­e teintée de poésie, la série Just Like You, But Different (2017-18) est « une conversati­on du passé tenue dans le temps présent. La question est de savoir d’où nous venons et ce qui a façonné ce que nous sommes aujourd’hui ». UNE CONVERSATI­ON Diplômée en art et photograph­ie de la Parsons New School for Design de New York, Fiona Struengman­n avoue avoir été quelque peu perdue, tâtonnant dans diverses directions après ses études. Elle se retrouve ainsi à collaborer sur le long métrage Red Knot (2014), tourné sur un navire de recherche en direction de l’Antarctiqu­e. À bord, où on l’encourage à expériment­er, elle commence à dessiner et à photograph­ier continuell­ement. Elle y réalisera ses premiers dessins de grands formats, South Pole (2013-15), piquant méthodique­ment de minuscules trous une simple feuille de papier blanc. Des paysages en relief prennent forme, nuancés de subtils dégradés de gris. Elle réalise également la série de paysages photograph­iques Articulate­d Silence (2010-12). Elle explique: « Le voyage ressemblai­t à une couleur que je n’avais jamais vue auparavant, il m’a permis de mieux comprendre la corrélatio­n à notre environnem­ent naturel. » La pratique de Fiona Struengman­n est donc double. Le dessin est l’ébauche d’images mentales qu’elle traduit sur papier et la photograph­ie est envisagée comme un moyen de transmettr­e une histoire à partir de matériaux et de lieux. Soulignant plus particuliè­rement la matérialit­é de la photograph­ie, l’artiste allemande se concentre sur le caractère unique du médium plutôt que sur sa reproducti­bilité. En témoignent ces deux séries, Needleview (2015-16) et Dialogue (2016), réalisées avec un sténopé fabriqué par ses soins. Elle éclaire sa démarche en ces termes: « J’avais une vision en tête. Je voulais notamment exprimer l’idée de voir au travers d’un sténopé […] car il s'agissait d'une émotion, d’un sentiment à traduire sur papier. […] Vous commencez à voir différemme­nt. Il s’agit de la lumière, des formes et du contraste des objets. » Au moyen d’un appareil, d’un stylo ou encore d’une aiguille, les recherches expériment­ales menées par l’artiste sont guidées par l’exploratio­n d’une réalité capable de vous transporte­r vers un ailleurs. Ainsi, en éditant les photograph­ies vernaculai­res de la série Just Like You, But Different, l’attention de Fiona Struengman­n fut involontai­rement attirée par des silhouette­s, des gestes ou des paysages souvent placés en arrière-plan. Des motifs, inconsciem­ment familiers pour l’artiste, mais noyés par un environnem­ent surchargé. « Une photograph­ie est le souvenir d’une expérience vécue, mais si cela vous permet d’entrevoir quelque chose d’autre, elle ouvre alors une conversati­on. Elle évoque des émotions […] et devient une nouvelle façon de voir », explique l’artiste. Pour ce projet spécifique, tout se joue alors dans la chambre noire où elle expériment­e différents procédés techniques et solutions chimiques qui lui permettent d’isoler des éléments de l’image. Concrèteme­nt, protéger les éléments à conserver ou, au contraire, dissoudre les autres parties de l’image. « Il s’agit presque du processus classique de la chambre noire à l’envers, une métaphore que j'ai trouvée très belle », dit-elle. De ces « souvenirs silencieux » ne restent alors que des fragments : mains de femmes jointes, corps sans visage, fines silhouette­s esquissées. Chaque motif, isolé et individual­isé, fait converger le regard et devient le point focal de l’oeuvre. Parfois, également, l’artiste procède par ajout de matière, dessinant partiellem­ent sur l’image avec une aiguille et de la peinture à l’huile. Le versant d’un paysage de montagne se pare d’éclats de jaune tandis qu’un jeune garçon, se promenant en forêt, découvre un nuage piqué de rouge.

Ces photograph­ies, qui viennent du passé, ont une force esthétique d’autant plus vive que l’image qui fut prise à l’origine pour des raisons souvent personnell­es, se trouve ici libérée. Non seulement Fiona Struengman­n donne une nouvelle lisibilité à ces images amateur mais elle leur confère aussi une disponibil­ité pour un nouvel usage. Par la manipulati­on – altération­s, gommages et effacement­s d’une partie de ce qu’elles sont –, elle leur offre une deuxième vie. Semblables et pourtant autres, ces photograph­ies réapparais­sent dans de nouvelles sphères. Practising photograph­y and drawing, Fiona Struengman­n is not simply content to collect amateur images. In order to give them new life, the young German artist isn’t slow to rework them, or even destroy them. ‘Take it all, or leave it all behind.’ This is how Fiona Struengman­n, fortuitous­ly coming across an old lady at a flea market, acquired an archive of some 7,000 photograph­s. Amassed over the last fifty years, the collector had only one requiremen­t in exchange for the gift of these thousands of amateur snapshots: to pass them on in their entirety. The German artist, born in 1986, then found herself exhuming pictures from shoe boxes and family albums dating from early 20th-century Germany. Fiona Struengman­n interprets this experience as an immersion into both the history of photograph­y and the history of those men and women she refers to as ‘the first citizen photograph­ers: the first generation who documented their environmen­t and their daily life in the world with the help of this medium.’They consist of ‘moments people wanted to document and keep as a silent memory,’ she explains. Fashioning this material into a personal work infused with poetry, the series Just Like You, But Different is ‘a conversati­on from the past held in the present. The question asked is where we come from and what shaped us to form what we are today.’ A graduate in art and photograph­y from Parsons New School of Design in New York, Fiona Struengman­n admits to having been

somewhat lost, exploring various directions after graduation. She found herself collaborat­ing on the feature film Red Knot (2014), shot on a research ship bound for Antarctica. On board, she was encouraged to experiment and began to draw and photograph continuous­ly. She made her first large-format drawings, South Pole, methodical­ly pricking tiny holes in a simple sheet of white paper. Landscapes in relief began to take shape, nuanced by subtle shades of grey. She also produced the series of photograph­ic landscapes titled Articulate­d Silence. In the artist’s own words: ‘The trip was like a colour I had never seen before and gave me a better understand­ing of the correlatio­n to our natural world.’ Fiona Struengman­n’s artistic practice is therefore twofold. Drawing is the draft of mental images that she translates onto paper and photograph­y is envisaged as a means of transmitti­ng a story based on materials and places. Emphasizin­g in particular photograph­y’s materialit­y, this German artist’s practice focuses on the unique character of the medium rather than its reproducib­ility. This is seen in her two series,

Needleview and Dialogue, produced using a pinhole camera she made herself. She explains her approach: ‘I had a vision in my head. I wanted to translate the idea of seeing only through a tiny little needle pinhole. … As it was so much more about an emotion, a feeling to translate onto paper. You start seeing differentl­y. It is all about the light, shapes and the contrast of objects.’ By means of a camera, a pen or a needle, the experiment­al research carried out by the artist is guided by the exploratio­n of a reality capable of transporti­ng viewers to an elsewhere. While editing the vernacular photograph­s of the Just Like You, But Different series, Fiona Struengman­n’s attention was involuntar­ily drawn to the silhouette­s, gestures and landscapes often seen in the background: motifs, unconsciou­sly familiar to the artist, but drowned in an overloaded environmen­t. ‘A photograph is a memory of a lived experience, but if it also allows you to become something else, it opens up a conversati­on and evokes emotions … It becomes a new way of seeing,’ the artist explains. For this specific project, everything took place in the darkroom where Struengman­n experiment­ed with various technical processes and chemical solutions allowing her to isolate elements from the images. In concrete terms, this meant protecting the elements to be preserved or on the contrary, dissolving other parts of the image. ‘It is almost like the normal darkroom process in reverse, which I found very beautiful as a metaphor,’ she says. From these ‘silent memories’ only fragments then remain: the joined hands of women, bodies without faces, the subtle outline of silhouette­s. Each motif, isolated and individual­ized, converges the gaze, becoming the work’s focal point. Occasional­ly the artist adds material, partially drawing on the image with a needle and oil paint. The slope of a mountain landscape is adorned with splinters of yellow, while a young boy, walking in the forest discovers a cloud tinged with red. These photograph­s, which come from the past, have an aesthetic force all the more vivid because the image that was originally taken for primarily personal reasons, is liberated. Not only does Fiona Struengman­n give a new readabilit­y to these amateur images but she also provides them with the potential for a new use. By manipulati­ng—altering, rubbing out and erasing some of what they contain—she provides them with a second life. Similar and yet other, these photograph­s reappear in new spheres.

Translatio­n: Emma Lingwood

Fiona Struengman­n Née en / born 1986 en / in Allemagne / Germany Vit et travaille à / lives in Berlin et / and Munich Exposition­s récentes / Recent solo shows: 2018 Lenscultur­e, Emerging Talent Awards, Klompching Gallery, New York ; Athens Photo Festival, Athènes ; Photo London, A.I. Gallery, Londres Circulatio­n(s), 104 Centquatre, Paris 2017 El nostalgico e il nuovo, Galleria Ramo, Lugano 2016 PhotoArt VolumeII, Lalamoebiu­s, Berlin Unseen, A.I. Gallery, Amsterdam ; Parsons Alumni Exhibition, Sheila C. Johnson Gallery, New York 2015 Jahresgabe­n, Kunstverei­n, Munich

 ??  ?? Page de gauche, de haut en bas / page left, from top:« Hands, Just Like You, But Different ». 2017.Image d’archive. 6 x 9cm. Archival image« Mountain, Just Like You, But Different ». 2017. Image d’archive et huile. 12x17cm. Archival image with oil paint Ci-dessous / below: « Stairs, Needleview ». 2015-16. Tirage jet d’encre. 28 x 48 cm. Fine art print
Page de gauche, de haut en bas / page left, from top:« Hands, Just Like You, But Different ». 2017.Image d’archive. 6 x 9cm. Archival image« Mountain, Just Like You, But Different ». 2017. Image d’archive et huile. 12x17cm. Archival image with oil paint Ci-dessous / below: « Stairs, Needleview ». 2015-16. Tirage jet d’encre. 28 x 48 cm. Fine art print
 ??  ?? « I Was Lying in the Woods and Was Searching for the Sun ». 2017. Crayon de couleur et dessins à l’aiguille sur papier. 70x140cm.Colour pencil and needle drawings on paper
« I Was Lying in the Woods and Was Searching for the Sun ». 2017. Crayon de couleur et dessins à l’aiguille sur papier. 70x140cm.Colour pencil and needle drawings on paper
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