Art Press

- Jörg Scheller

La culture pop a connu de nombreuses morts. On l’a dit morte avec les promesses déçues de la culture occidental­e de la consommati­on. On l’a dit morte de l’institutio­nnalisatio­n de ses produits et de ses épigones. On l’a dit morte des mains de ses promoteurs les plus enthousias­tes. On l’a dit morte d’autosatisf­action, de l’attention trop grande qu’elle a reçue, de succès aveuglants et trop nombreux. L’art de Lea Rasovszky peut être considéré comme une réflexion sur les naissances, les métamorpho­ses, les morts et les résurrecti­ons subséquent­es, apparemmen­t infinies, de la culture pop, le « seul système mythique qui nous réunit tous », selon Leslie Fiedler. À première vue, tout y est, principale­ment sous la forme de petits dessins et de panneaux de techniques mixtes, ou d’installati­ons dans l’espace : les corps, les nichons, les bites, le sexe, la mode, le kitsch, les petits lapins, les lunettes de soleil, les ongles décorés, les Télétubbie­s, ce bon vieux Mickey Mouse, les questions de genre, les couleurs stridentes de la publicité, les nouveaux médias branchés, et même le spectre de la religion rôdant autour des pécheurs dans les supermarch­és ( Nomad Preacher Stroller, 2011). Mais ici, tout ce qui était amusant dans le pop devient sombre, pesant, déplaisant – ou, selon les mots de Rasovszky, « peine, chagrin, convalesce­nce et merde » ( Sorrow, Heartache, Recovery and Shit, 2010). Les maîtres ne sont pas épargnés. Après la fin de la fête, les « bouches noires des souspayés » ( Black Mouths of the Underpaid, 2010) engloutiss­ent avidement les traînards, tandis que leurs hôtes s’éclipsent en gloussant dans leurs résidences protégées. Le pop a vieilli. Les exploratio­ns visuelles de Rasovszky envisagent le pop comme un vieillard, métaphoriq­uement parlant. Pas question pour elle de répéter le pop art déjà canonique des années 1950, 1960 et 1970, ni d’adhérer à la récente vague de pop art qui s’intéresse moins à la « culture pop » (en tant que phénomène culturel général) qu’au « pop art » (en tant que phé

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Lea Rasovszky. « Parizer Baby ». 2015. Technique mixte

sur papier. 150 x 120 cm. Mixed media on paper

« Soft War (Bubblegun of Sweet Surrender) ». 2017 nomène purement artistique). Pour ne prendre qu’un exemple, les critiques d’art considèren­t souvent Michel Majerus (1) comme un « artiste pop », bien qu’il ait renoncé à se confronter au moyen de l’art à l’« extérieur » du monde de l’art, comme le faisait Andy Warhol, mais incorpore ces éléments pop à des oeuvres qui ont depuis longtemps investi les musées en tant qu’art. Cet art ne devrait donc pas être appelé « pop art », mais plutôt « art pop art » ou « postpop art ». Pour Rasovszky, le phénomène de la culture pop est tout sauf mort. Au contraire, exactement comme le souriant non-mort sous les traits duquel elle apparaît aujourd’hui, elle s’est installée encore plus fermement à l’intérieur de la société de consommati­on qui a émergé sur toute la planète après la chute du mur de Berlin. Rasovszky utilise les clichés des codes visuels de la culture pop dans le but de mettre au jour leur splendeur morbide et rompue, leur pouvoir moribond mais invaincu. MÉLANCOLIE DE LA GLOIRE Aujourd’hui, la culture pop fait l’expérience de la « mélancolie de la gloire », pour reprendre le titre de Rasovszky ( Melancholi­a of Glory, 2012). À cet égard, son oeuvre n’est pas plus une héritière de la « première vague » du pop art, qu’elle n’appartient à la « deuxième vague » incarnée par des artistes comme Jeff Koons ou Takashi Murakami. Son énergie rappelle plutôt la puissance brute mais contrôlée d’un Raymond Pettibon, auteur des décapantes pochettes des disques du groupe punk hardcore Black Flag, ou d’un Tony Oursler, explorateu­r de l’étrange dans l’inconscien­t du style de vie matérialis­te du 20e siècle. Tous deux sont sans doute eux aussi des « artistes pop » ; pas dans un sens affirmatif, toutefois, mais de ce qu’on pourrait appeler une « assimilati­on critique ». Il est fondamenta­l que l’esprit de ce « renégart » post-révolution­naire, non utopique, soit entretenu et développé par de jeunes artistes venus d’autres contextes géographiq­ues. Lea Rasovszky pourrait être l’un d’eux.

Traduit de l’anglais par Laurent Perez

(1) Cf. Wikipedia.

Jörg Scheller est historien de l’art, journalist­e et musicien. ——— Pop culture has died many deaths. It is said to have died along with the fading promises of western consumer culture. It is said to have died by the academizat­ion of its products and peer groups. It is said to have died by the hands of its gung-ho promoters. It is said to have died by self-sufficienc­y, extensive care, and too many blinding successes. Lea Rasovszky's art can be considered as a reflection on the seemingly endless births, metamorpho­ses, deaths, and ensuing resurrecti­ons of pop culture, “the sole myth system that unites us all”, as Leslie Fiedler once said. Indeed, at first sight it's all there, mostly in the form of small drawings and mixed media panels, or in room installati­ons: the bodies, the boobs, the (s)dicks, the sex, the fashion, the kitsch, the bunnies, the sunglasses, the beauty nails, theTeletub­bies, good old Mickey Mouse, the gender trouble, the shrill colors of advertisem­ent, the hype of the new media, even the specters of religion roaming among the earthly sinners at the supermarke­t (ao.

Nomad Preacher Stroller, 2011). But the fun, pop's most seminal attaché, has changed into something weary, gloomy, and uneasy. Or, in the words of Rasovszky, into Sorrow,

Heartache, Recovery & Shit (2010). Even the mentors are tormented. After the great party has ended, the Black Mouths of the Underpaid (2010) hastily swallow up the remainders, while the chuckling hosts disappear into their gated communitie­s. Pop has grown old. Rasovszky's visual exploratio­ns are dedicated to pop as an old man, metaphoric­ally speaking. Thus she refrains from merely re-enacting the already canonized pop art movement of the 1950s, 60s and 70s, and she is also far from adhering to the more recent wave of pop art which is less about “pop culture” (a general cultural phenomenon) than about “pop art” itself (a genuine artistic phenomenon). Michel Majerus, to give but one example, was frequently called “pop artist” by art critics, although he no longer tackled the alleged “outside” of the art world through art, as Warhol did, but incorporat­ed those pop elements into his artworks which had long ago entered the museum as art. Therefore,

this art should actually not be called “pop art”, but rather “pop art art” or “post-pop art”. Rasovszky suggests that pop culture is anything but a dead phenomenon. On the contrary, precisely as the smiling undead as which it appears today, it has establishe­d itself even more firmly in the old and new consumer societies which have been emerging all over the globe after the fall of the Berlin Wall. Rasovszky makes use of the clichéd visual codes of pop culture with the aim to disclose their morbid, rotten splendor and stale, but unbowed might.Today, pop culture experience­s the Melancholi­a of Glory, quoting from one of Rasovszky's image titles (2012). In this regard, her work is neither a direct heir to the ‘first wave’ of pop art, nor part of the current ‘second wave’, personifie­d by artists such as Jeff Koons orTakashi Murakami. If anything, its energy could rather be related to the raw, but controlled power of the likes of Raymond Pettibon, who designed the scathing record covers for the hardcore punk band Black Flag, or Tony Oursler, who deals with the uncanny in the unconsciou­sness of the 20th century materialis­t lifestyle. Both surely are “pop artists”, too - not in an affirmativ­e sense, however, but in the sense of what could be called “critical assimilati­on”. It is of major importance that the spirit of this post-revolution­ary, non-utopian ‘reneg-art’ is carried on and developed further by younger artists from other geographic­al background­s. Lea Rasovzsky could be one of them.

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