La récente exposition de Mircea Suciu à Cluj, à la galerie Spațiu Intact (Espace Intacte) du nouvel espace culturel appelé Le Centre d’intérêt, est une syntèse de ses présentations à la Biennale d’art de Gwangju en 2014 et au musée d’art contemporain de Bucarest en 2015. Quelques années plus tard, l’artiste de Cluj reste fidèle à une thématique dont l’apogée est l’ensemble de plus de quarante oeuvres de dimensions variables réunies sous le titre anglais de Ashes to ashes (1). L’expression religieuse se rapporte à la mort, à la destruction, à la disparition, et elle correspond mieux à cet ensemble que la seconde partie de l’expression, Dust to Dust, qui était le titre de la série similaire exposée à Gwangju. En effet, elle comprend l’idée de combustion et, d’une manière implicite, de l’action humaine qui la provoque. Les images en question citent des clichés photographiques célèbres, illustrant des événements associés à la mort, à l’extinction, et où le feu, celui d’une arme ou celui d’un incendie, signifie conflits militaires, assassinats, gestes extrémistes en tout genre. Le fait que Mircea Suciu les transpose en employant le fusain – autre produit du feu – ainsi qu’une technique personnelle du monotype, est à l’unisson du thème. HISTOIRE ET MÉMOIRE Sa démarche évoque un épisode de l’histoire de l’art roumain dont le protagoniste est Nicolae Grigorescu, le peintre national. Alors même que la photographie avait été inventée depuis quelques décennies, Grigorescu fut envoyé sur le front de la guerre turco-roumaine de 1877, afin de transcrire en peinture, en tant qu’« artiste reporter », ce qu’il voyait. Telle est l’origine de plusieurs de ses tableaux et dessins qui, au-delà de leur aspect documentaire, sont d’une qualité remarquable, et restent, même s’ils reflètent la subjectivité de son regard, des images iconiques de l’indépendance roumaine. Depuis quelques décennies, les médias – conformément à l’intuition géniale de Marshall McLuhan, « le médium, c’est le message » – n’expriment pas la réalité, ils sont la réalité. Ainsi, Mircea Suciu est devenu une sorte de reporter sur le « front » des médias, enregistrant la réalité à travers le condensé des images médiatiques qui s’y substituent. Mais l’artiste ne les reprend pas telles quelles ; il y ajoute quelque chose qui lui appartient en propre : la capacité de les sublimer du point de vue plastique, intervenant sur les formes et les tons, entre le blanc et le noir, en définissant surtout sur ce territoire des ombres un vocabulaire artistique dont il développe la « grammaire » avec beaucoup de virtuosité. Mircea Suciu est non seulement resté fidèle à son projet personnel qu’il porte sur des nouveaux « fronts », mais il demeure peut-être le seul représentant de l’École de Cluj fidèle à sa définition originaire : expression de l’histoire récente et de la mémoire. (1) Ashes, c’est-à-dire « cendres » en français. L’expression en anglais Ashes to ashes, dust to dust correspond au français « tu es poussière et retourneras poussière ». Mircea Suciu’s recent exhibition in Cluj, at the Spaţiu Intact Gallery located in the new cultural space known as the Centrul de Interes is a combination of his presentations at the Gwangju Biennale of Art in 2014 and the Museum of Contemporary Art in Bucharest in 2015. A few years later, the Cluj artist remains faithful to a theme whose culmination is the ensemble of over forty works of variable dimensions brought together under the English title: Ashes to ashes. This religious expression which refers to death, destruction and disappearance, is more suited to the ensemble of images than the second part of the expression— dust to
dust— used by the artist as the title of a similar series presented at Gwangju. It encompasses the notion of combustion and, implicitly, the human action that provokes it. The images in question cite famous photographic snapshots illustrating events associated with death and extinction, where fire (either by weapon or natural fire), is the expression of military conflict, assassinations and extremist actions. The fact that Mircea Suciu transposes these using charcoal—another by-product of fire—as well as the personal technique of the monotype is fitting with regard to the proposed theme. The artist’s approach evokes an episode from the history of Romanian art where the protagonist is Nicolae Grigorescu, the national painter. Even though photography had been invented several decades previously, Grigorescu was sent to the Turkish-Roma
nian front in 1877 with the task of recording all that he witnessed as an ‘artist-reporter’. This is the origin of several of Suciu’s paintings and drawings which, beyond their documentary aspect, have a remarkable artistic quality. Even if they reflect the subjectivity of his perspective, they are nevertheless iconic images depicting Romanian independence. For the past number of decades, the media, echoing McLuhan’s declaration that ‘[t]he medium is the message’ have not expressed reality; they are reality. Therefore, Mircea Suciu has become a kind of reporter on the media front, recording reality through media images, images that have succeeded in replacing reality. But he does not use them simply as they are. He adds to them in his own distinctive fashion: making them visually more appealing by intervening in terms of form and tone—between white and black—but particularly by defining amidst this shadowy palette, an artistic vocabulary from which he develops a ‘grammar’ with a tremendous amount of skill. Mircea Suciu has remained faithful not only to a personal project he perpetuates on new fronts, but he is perhaps the only remaining representative of the Cluj School in terms of its original definition: the expression of recent history and of memory.
Translation: Emma Lingwood