PARIS
Musée Picasso / 20 novembre 2018 - 24 mars 2019
Picasso-Rutault, Grand écart
Musé Picasso / 20 novembre 2018 - 24 mars 2019
Grand écart est bien le terme qui convient pour définir cette exposition de Claude Rutault qui s’invite chez Picasso, pour un dialogue empreint de complicité à rebours. Cette rencontre improbable commence en 1973, l’année de la mort de Picasso à l’âge de 92 ans. Au mur une toile de 1972, paradoxalement intitulée le Jeune Peintre. En 1973, Rutault a 32 ans et énonce sa méthode de travail: « Une toile tendue sur un châssis, peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. » Cette petite toile est installée à côté de celle de Picasso. Elle est la première de ce qu’il nomme des « dé-finitions / méthodes » qui ne vont cesser de s’amplifier et de se diversifier au fil des années. Elles articulent toute son oeuvre selon un vaste corpus dont certains éléments sont actualisés et appliqués ici. Elles démontrent combien le concept de départ s’est développé dans des dimensions sans doute inimaginables lors de ses débuts, il y a quarante-cinq ans maintenant. Les « dé-finitions / méthodes », actuellement au nombre de 650, apparaissent sous forme de textes plus ou moins développés, rassemblés dans plusieurs volumes, indiquant au preneur en charge de l’oeuvre (l’institution, la galerie, le collectionneur) comment la fabriquer, la montrer et l’exposer. À la fois précis et souple, le protocole laisse une part certaine non pas à l’interprétation, mais à la responsabilité de son propriétaire, notamment dans le choix des couleurs à utiliser. Comme le montre l’exposition, l’accrochage n’est pas exclusivement mural, mais peut aussi occuper la surface du sol, soit sous la forme de toiles isolées ( Monochrome 5, 1994), d’une pile formée par l’accumulation de toiles ( Pile rupture, 1989) pouvant éventuellement servir de socle ( Pile socle, 1989) supportant lui-même une sculpture de Picasso ( la Femme à la poussette, 1950). Dans ce dernier cas, la taille des toiles de Rutault composant la pile correspond exactement au socle en bronze de la sculpture de Picasso. L’appropriation est subtile, va de soi dans ce contexte, comme les différences séquences de cette exposition, dont on finit par se dire que Picasso constitue en fait l’occasion idéale pour rendre compte de tout le potentiel pictural, critique et ironique de Rutault. Son travail dispose à la fois de la cohérence et de la diversité pour s’adapter à tous les contextes et circonstances, sans rien perdre de son identité et de son in- ventivité, tout en respectant toujours la « dé-finition / méthode » initiale et ses éventuelles contraintes (murs non peints, utilisation du papier), faisant elles-mêmes, ipso facto, l’objet de nouveaux protocoles. Pour Rutault, se confronter à Picasso, c’est montrer que « la grande différence entre nous deux, c’est en réalité qu’il y a une rupture, un changement de régime de l’oeuvre, qui résume le grand écart entre deux modes de production de la peinture. » Ce sont bien ces modes inusités de production de la peinture qui constituent une des spécificités du travail écrit et peint de Rutault. Un « Cahier » manuscrit documente l’ensemble, avec des textes de Claude Rutault et Alexandre Mare (Marval-Rue Visconti).
Bernard Marcelis
——— Grand Écart means “big gap” and “the splits”, and is the right term to define this exhibition of the work of Claude Rutault, who has invited himself to Picasso’s for a dialogue marked by a retrospective complicity.This improbable encounter begins in 1973, the year of Picasso’s death at the age of 92. On the wall is a painting from 1972, paradoxically entitled The Young Painter. In 1973 Rutault was 32 years old and stated his method of work as: “a canvas stretched on a frame, painted in the same colour as the wall on which it is hung.” This little canvas is installed next to Picasso's. It is the first of what he calls “de-finitions/methods” that will continue to grow and diversify over the years. They articulate all his work according to a vast corpus of which certain elements are updated and applied here. They demonstrate how the initial concept developed in dimensions probably unimaginable at its inception, forty-five years ago now. The “de-finitions/methods”, currently 650 in number, appear in the form of more or less developed texts, gathered in several volumes, indicating to the taker in charge of the work (the institution, the gallery, the collector) how to make it, to show it and to exhibit it. At once precise and flexible, the protocol leaves a certain part not to the interpretation, but to the responsibi- lity of its owner, in particular in the choice of colours to be used. As shown by the exhibition, the hanging is not exclusively wallmounted, but can also occupy the surface of the floor, either in the form of isolated canvases (Monochrome 5, 1994), a pile formed by the accumulation of canvases ( Pile rupture, 1989) that could possibly serve as a pedestal ( Pile socle, 1989), which itself supports a Picasso sculpture ( La Femme à la poussette, 1950). In the latter case, the size of the Rutault canvases composing the stack corresponds exactly with the bronze base of Picasso's sculpture.The appropriation is subtle, self-evident in this context, like the different sequences which lead us to conclude that Picasso does in fact provide the ideal opportunity to account for all Rutault’s pictorial, critical and ironic potential. His work has both the coherence and diversity to adapt to all contexts and circumstances, without losing its identity or inventiveness, while always respecting the initial “de-finition/method” and its possible constraints (unpainted walls, use of paper), making themselves, ipso facto, the object of new protocols. For Rutault, to confront Picasso is to show that “the big difference between the two of us is that there is actually a split, a change of work regime, which sums up the big difference between two modes of production of painting.” It is these unusual modes of painting production that constitute one of the specificities of Rutault’s written and painted work.
Translation: Chloé Baker