Art Press

PARIS

Monnaie de Paris / 19 octobre 2018 - 3 février 2019

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Grayson Perry

Monnaie de Paris / 19 octobre 2018 - 3 février 2019

« Je suis dans le business de la communicat­ion ; je veux communique­r avec un public le plus large possible. » Cette sentence programmat­ique de l’artiste britanniqu­e Grayson Perry, extraite du catalogue (Lienart, 200 p., 29 euros), s’applique avec justesse aux oeuvres qu’il présente à la Monnaie de Paris dans Vanité, identité, sexualité, sa première exposition monographi­que en France. Peu importe la pertinence variable des scansions du parcours thématique : de la première à la dernière salle, les yeux sont littéralem­ent ravis. Des couleurs vives, des robes aux textiles suaves, des tapisserie­s grotesques, des symboles sexuels, des situations cartoonesq­ues, des injonction­s clinquante­s, d’étincelant­es céramiques émaillées, d’anciennes sculptures factices, une Harley-Davidson rose, un nounours divinisé, des mondes psychiques cartograph­iés : ce tourbillon carnavales­que emporte le regard et entraîne l’esprit dans des divagation­s qui embrassent le large spectre de nos pulsions. Marqué par l’art brut, notamment par l’Américain Henry Darger, Perry tisse un lien puissant avec la cruauté et la douceur, le sadisme innocent propre à la petite enfance, au moment de la constructi­on de soi et de la découverte de l’autre. Ses créations satiriques, résultats de savoir-faire artisanaux, s’appuient sur la trivialité du quotidien et font écho à la sagesse populaire, toujours entre discours simpliste et bon sens. Touché par cette abondance décorative presque psychédéli­que, chacun peut être amené à s’interroger sur ce qui fonde notre ego et notre histoire collective – moderne et européenne. Le genre est questionné à travers la figure du travesti et la place honorifiqu­e octroyée à « Claire », l’alter ego de l’artiste, mais également grâce à la mise en scène constante des stéréotype­s propres à notre culture patriarcal­e. La présentati­on timide d’une sexualité obscène ou explicitem­ent dédiée à la reproducti­on du modèle social dominant sonde notre inquiétude latente face au devenir. La série de tapisserie­s relatant la vie d’un personnage archétypal enfonce le clou. Perry aborde l’importance des rituels collectifs et l’inexorable com- partimenta­tion de la société qui déterminen­t notre place dans le groupe, de la famille à la nation. Il décrit le triomphe du capitalism­e consuméris­te et ses conséquenc­es douloureus­es. Enfin, la fonction primordial­e de l’image, de l’objet fétiche, de l’art comme processus de sublimatio­n, partagée par tous, sous-tend l’ensemble de l’exposition. Les poteries et les tentures fonctionne­nt comme un acte de résistance kitsch de l’artisanat. Les oeuvres ne cessent de mêler cultures dites populaire et élitiste. Perry se définit comme un « intellectu­el organique » selon l’expression du philosophe italien Antonio Gramsci. Artiste, son influence sociale passe par des créations qui donnent forme à son exploratio­n des « strates mouvantes […] qui font de nous ce que nous sommes ». Avec les oeuvres majoritair­ement récentes exposées à la Monnaie de Paris, il réussit son pari. Dépasser leur interpréta­tion littérale conduit à réfléchir au corps – cher à Michel Foucault – comme utopie et topie impitoyabl­e, sur la fragmentat­ion et le morcelleme­nt de l’identité, individuel­le comme collective, sur le danger des catégorisa­tions duelles et des classifica­tions lénifiante­s.

Marc Aufraise

——— “I’m in the business of communicat­ion; I want to communicat­e with as wide a public as possible.” This programmat­ic sentence of the British artist Grayson Perry, extracted from the catalogue (Lienart, 200 p., 29 euros), applies aptly to the works he is presenting at the Monnaie de Paris in Vanité, identité, sexualité, his first solo exhibition in France. Regardless of the variable relevance of the scansions of the thematic itinerary: from the first to the last room, the eyes are literally delighted. Bright colours, dresses created from sumptuous textiles, grotesque tapestries, sexual symbols, cartoon-like situations, flashy injunction­s, glittering enamelled ceramics, old fake sculptures, a pink HarleyDavi­dson, a deified teddy bear, psychic worlds mapped out. This carnivales­que whirlwind transports the eye and draws the mind into meandering­s that embrace the broad spectrum of our impulses. Marked by outsider art, especially by the American Henry Darger, Perry weaves a powerful link between cruelty and gentleness, the innocent sadism peculiar to infancy, at the time of the constructi­on of the self and the discovery of the other. His satirical creations, results of craftsmans­hip, are based on the triviality of everyday life. and echo popular wisdom, always between simplistic discourse and common sense. Touched by this almost psychedeli­c decorative abundance, one may be led to question what is the foundation of our ego and collective history – modern and European. Gender is questioned through the figure of the transvesti­te and the honorific place granted to “Claire”, the artist’s alter ego, but also thanks to the constant staging of stereotype­s specific to our patriarcha­l culture. The shy presentati­on of an obscene sexuality or explicitly dedicated to the reproducti­on of the dominant social model probes our latent anxiety in the face of the future. The series of tapestries recounting the life of an archetypal character drives the point home. Perry addresses the importance of collective rituals and the inexorable compartmen­talization of society that determines our place in the group, from family to nation. He describes the triumph of consumeris­t capitalism and its painful consequenc­es. Finally, the primordial function of the image, of the fetish object, of art as a process of sublimatio­n, shared by all, underlies the entire exhibition. Pottery and hangings work as an act of kitsch resistance by craftsmans­hip. The works ceaselessl­y mix popular and elitist cultures. Perry defines himself as an “organic intellectu­al”, according to the expression of Italian philosophe­r Antonio Gramsci. As an artist, his social influence comes through creations that give shape to his exploratio­n of the “moving strata [...] that make us who we are”. With the mostly recent works exhibited at the Monnaie de Paris, he wins his wager. Going beyond their literal interpreta­tion leads one to reflect on the body – dear to Michel Foucault – as utopia and pitiless topia, on the fragmentat­ion and splitting up of identity, both individual and collective, on the danger of dual categoriza­tions and placatory classifica­tions.

Translatio­n: Chloé Baker

«The Agony in the Car Park ». 2012. Laine, coton, acrylique, polyester, soie. 200 x 400 cm. (© Grayson Perry; Court. de l’artiste et Victoria Miro, Londres/Venise). Wool, cotton, acrylic, polyester and silk tapestry

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