Art Press

Glen Baxter

Galerie Isabelle Gounod / 24 novembre 2018 - 18 janvier 2019

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Artiste-poète, Glen Baxter a inventé très tôt un cadre formel qu’il utilise de manière immuable: des vignettes colorées au crayon de couleur (même s’il avait auparavant pratiqué le dessin noir sur blanc pour des raisons d’économies, quand les publicatio­ns en couleur coûtaient plus cher qu’aujourd’hui) qui sont toujours accompagné­es d’une légende, d’un court texte. Ce cadre lui a permis de développer à l’infini sa malicieuse inventivit­é. La publicatio­n d’albums ou l’exposition dans des galeries permettent de découvrir son monde aberrant où, dans un style intemporel, des personnage­s récurrents – policemen, cow-boys, scouts ou explorateu­rs – vivent des situations ahurissant­es. La drôlerie très particuliè­re qui en ressort est à la fois réjouissan­te et inquiétant­e. Fait-il une différence entre graphisme et art ? Aucune, même s’il reconnaît qu’un dessin exposé en galerie n’est pas regardé de la même manière que quand il est publié dans un livre. Le monde de l’art avec ses figures emblématiq­ues (Calder, Giacometti, Mondrian…) est l’un des thèmes favoris de Baxter, mais l’espace muséal devient chez lui un domaine où évoluent des cow-boys ou d’autres personnage­s improbable­s. Son approche décalée de la vie courante ou de la réception des artistes et des écrivains ouvre des perspectiv­es qui mettent en suspens nos schémas mentaux ordinaires. Par sa désuétude, le style de ses dessins vise l’intemporel, mais Baxter affirme surtout qu’il cherche ainsi à « retrouver l’innocence » à travers la part d’enfance que tout artiste recèle. Remonter au temps de l’enfance n’est pas faire une recherche du temps perdu au travers des sensations, et il ne fait preuve d’aucune nostalgie : « Ici et maintenant, j’essaie de faire des images du monde en essayant de retenir une partie de mon enfance. » Il s’agit de retrouver la situation d’étrangeté éprouvée enfant face au langage, grâce à la résonance poétique de certains mots, ainsi que la façon dont la découverte qu’il fait du monde outrepasse pour un enfant toute compréhens­ion : « Ce moment où je vois quelque chose pour la première fois, et que quelque chose d’extraordin­aire arrive. Vous êtes stupéfait, et vous essayez de comprendre ce que vous êtes en train de regarder. Si je parviens à faire partager à d’autres personnes cette expérience, ce moment de révélation, c’est parfait ! » (Entretien dans le Safari historico-gastronomi­que en Poitou-Charentes, Atlantique, 2010). De ce « gap », de cette distance vertigineu­se, proviendra­it le mystère, le « frisson » (un mot français qu’il utilise dans son anglais impeccable) pour désigner l’effet de surprise que retranscri­vent ses images. Avec un art du décalage qui rappelle parfois le collage surréalist­e, le monde de Baxter décrit des situations cocasses qui, sans doute, auraient besoin d’une explicitat­ion, mais la relation du texte et de l’image n’est pas de complétude. Il reste toujours attaché à un principe de nonsense caractéris­tique de l’humour anglais. Pour un esprit rationalis­te qui voudrait que le monde soit clos et sensé de manière univoque, l’humour de Baxter n’est pas d’une drôlerie anodine ; il est très inquiétant et se rapproche de l’angoisse.

Claire Margat

——— Artist-poet Glen Baxter invented very early a formal framework that he has used in an immutable way: vignettes coloured with coloured pencil (though he had previously practiced drawing in black and white to save money, when colour publicatio­ns were more expensive than today), which are always accompanie­d by a caption, a short text. This framework has allowed him to develop to infinity his mischievou­s inventiven­ess. The publicatio­n of books and exhibition­s in galleries allow one to discover his aberrant world where, in a timeless style, recurring characters – policemen, cowboys, scouts and explorers – live amazing situations. The very particular drollery that emerges is both fun and worrying. Does he make a distinctio­n between graphic design and art? None at all, even though he recognizes that a drawing exhibited in a gallery isn’t viewed in the same way as when published in a book. The world of art with its iconic figures (Calder, Giacometti, Mondrian ...) is one of Baxter’s favourite themes, but museum space becomes home to a field where cowboys and other unlikely characters evolve. His offbeat approach to everyday life and the reception of artists and writers opens up perspectiv­es that put our ordinary mental patterns on hold. By its obsolescen­ce the style of his drawings is timeless, but Baxter says that he seeks to “recapture innocence” through the part of childhood that any artist conceals. Going back to the time of childhood isn’t a search for time lost through sensations, and he shows no nostalgia: “Here and now, I try to make images of the world while trying to remember part of my childhood.” It is a question of finding the childlike situation of strangenes­s in the face of language, thanks to the poetic resonance of certain words, as well as the way in which the discovery that it makes of the world goes beyond any understand­ing for a child: “This moment where I see something for the first time, and something extraordin­ary happens. You’re stunned, and you try to understand what you’re looking at. If I manage to share with others this experience, this moment of revelation, it’s perfect!” (Interview in le Safari historico-gastronomi­que en Poitou-Charentes, Atlantique, 2010). It is from this gap, from this vertiginou­s distance, that seems to come the mystery, the “frisson” (a French word for tingle he uses in his impeccable English) to designate the effect of surprise that his images transcribe. With an art of discrepant shifts that sometimes recalls surrealist collage, Baxter’s world describes comical situations that, without doubt, would need an explanatio­n, but the relationsh­ip of text and image isn’t complete. He is still attached to a principle of nonsense characteri­stic of English humour. For a rationalis­t mind that would like the world to be closed and unambiguou­sly sensible, Baxter’s humour is no innocuous joke; he is very disturbing, and approaches anxiety.

Translatio­n: Chloé Baker

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Glen Baxter. « Twins ». 2016. Encre sur papier. 79 x 53 cm. (Ph. R. Fanuele).Ink on paper

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