NATALIE LEGER la robe de Pippa Bacca
Nathalie Léger La Robe blanche P.O.L, 144 p., 16 euros
Directrice de l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine), commissaire d’exposition, Nathalie Léger est aussi l’auteure de livres remarqués ( les Vies silencieuses de Samuel Beckett, l’Exposition, Supplément à la vie de Barbara Loden) Avec la Robe blanche, elle s’interroge une nouvelle fois sur la pertinence de distinguer l’art de la vie. Écrit-on sur les autres pour ne pas avoir à explorer l’énigme de son nom ? Écrit-on pour réparer une injustice, ici celle d’une mère humiliée par son mari? Peut-on être fille, femme, singularité choisissant ses amours sans craindre la lame d’un veneur éconduit, nous éviscérant d’avoir osé dire non, comme dans l’Assassinat de la dame de Botticelli? Ouvrir Vénus (G. Didi-Huberman), ouvrir un livre. La robe blanche de Nathalie Léger est une robe de mariée portée par l’artiste milanaise Pippa Bacca, nièce de Piero Manzoni, ayant tenté en 2008 de rejoindre Jérusalem en autostop à travers l’Europe et les Balkans, dans cette tenue d’innocence, rencontrant au fil de ses étapes des sages-femmes pour les écou- ter et leur laver les pieds, avant de se faire violer et assassiner en Turquie. Voulant témoigner des possibilités d’une fraternité inconditionnelle, la performance de Pippa Bacca se termine dans le sang. Cependant, échoue-t-on parce qu’on ne réussit pas ? Rien n’est moins certain. La traîne d’une robe n’efface pas l’horreur du monde, elle l’expose, et le rédime peut-être par sa grâce. À Milan, une autre robe blanche avait été achetée, toutes deux devant se retrouver au retour de cette odyssée dans une exposition, qui aura tout de même lieu, mais sans son initiatrice. La célébration de la vie est devenue une cérémonie mortuaire, et la noce un cercueil. « Même quand les artistes sont maladroits, quand leurs pensées sont confuses, quand leurs gestes sont inaboutis, les performances disent obstinément quelque chose de vrai. [...] Ce n’est pas son intention qui m’intéresse, ni la grandeur de son projet ou sa candeur, sa grâce ou sa bêtise, c’est qu’elle ait voulu par son voyage réparer quelque chose de démesuré et qu’elle n’y soit pas arrivée. » Alternant à la première personne un travail de recherche concernant un acte fou de naïveté et une réflexion sur les liens mère-fille (faut-il accepter de se laisser gagner par le désir de vengeance?), Nathalie Léger s’interroge sur la violence du monde, des familles, et les gestes de réparation. Une ironie de partage se glisse parfois dans les phrases, rappelant la voix de Nathalie Sarraute. Faisant le récit, selon la méthode de la « minute Lumière » inventée par la cinéaste Claire Simon (dire l’essentiel en soixante secondes), de quelques performances de l’histoire de l’art pensées aux lisières du sublime et de l’absurde, Nathalie Léger construit un texte de culture, et de profonde empathie envers l’élan ingénu d’une jeune femme ayant imposé à sa mère, à tous, sa volonté de création, alors que, de plus en plus envahissante, la propre mère de l’auteure cherche à faire de sa fille l’instrument de sa fureur. On se rencontre, on achète une robe blanche, on se marie, on fait l’amour, on crée la vie, on se déchire, on divorce. On laisse dans la penderie de la chambre à coucher un espoir en forme de tissu nuptial, avant qu’une artiste ne s’en empare. Témoignage de Marina Abramović : « Dans nos performances, nous pouvons aller très loin, mais si nous laissons le public faire, nous pouvons être tués. »