Art Press

François Bordes

La Canne à pêche de George Orwell Corlevour, 110 p., 16 euros

- Jacques Henric

Chacun son Rosebud. Celui d’Orson Welles, dans Citizen Kane, était l’image d’un traîneau ; celui de George Orwell, le souvenir d’une canne à pêche. C’est ce que nous apprend, dans un court et dense récit, François Bordes, après une relecture attentive des livres d’Eric Blair, cet écrivain qui s’était donné le nom d’un fleuve du sud de l’Angleterre, l’Orwell. Importance du signifiant : l’auteur de 1984, par le choix de son pseudonyme, donnait ainsi un élan décisif à sa vie et à son oeuvre littéraire à venir, lesquelles – et c’est la découverte de François Bordes – trouvaient leur centre énergétiqu­e au sein de l’enfance. « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté », écrivait Charles Baudelaire. Pour preuve, la minutieuse et émouvante exploratio­n que nous propose François Bordes de cet « arrièrepay­s » que fut l’enfance d’Orwell. L’homme dont la pêche fut « la grande affaire » de son enfance meurt à Londres le 21 janvier 1950, à l’âge de 46 ans. « Au pied du lit d’hôpital une canne à pêche était posée. » Entre le passé lointain du tout jeune Eric Blair qui lançait sa ligne au-dessus des étangs, et l’agonie de l’écrivain George Orwell dans ce lit au pied duquel était posé le « totem » reliant l’âge de l’enfance et l’âge adulte, une vie a eu lieu, et quelle vie !, et une oeuvre, qui lui a donné sens et continue de nous éclairer sur ce qu’a été « l’essence même des inventions politiques monstrueus­es du vingtième siècle » (et de celles, hélas, de ce siècle-ci déjà bien entamé). Une canne à pêche pour venir à bout du Mal ? Comptons, comme le suggère François Bordes, sur la « puissance de l’imaginaire et de sa force narrative ». Vain espoir ? Non, si comme lui, on sait écouter la voix de l’enfance qui « parle bas dans 1984 ».

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