Karine Miermont
Grace l’intrépide Gallimard, 160 p., 16 euros
Grace est une prostituée nigériane travaillant au bois de Vincennes, dont Karine Miermont raconte la terrible histoire, sans pathos. L’ambition est d’accueillir une parole entendue dans toute sa vérité, sa terrible joie, ses douleurs, dans une double graphie distinguant la voix de la narratrice de celle de la femme qui vend son corps pour rembourser soixante-dix mille euros de dettes. Le regard sans condescendance est celui d’une soeur. Mais ce qui pourrait s’apparenter à un simple reportage sur une femme ayant vécu l’enfer depuis le départ de son village natal, les routes de la migration étant jonchées de cadavres et de viols, est surtout un éloge du récit, voire du conte, comme forme permettant de dire au plus proche le destin d’un être soumis à l’impossible. À travers le portrait de Grace, qui n’existe pas, mais qui est la synthèse de femmes rencontrées par la romancière lors de son enquête sur l’esclavage moderne, Karine Miermont, dont le livre est très informé – « La traite des êtres humains dans le monde, principalement pour la prostitution, est la deuxième activité criminelle après les armes et devant la drogue » –, alerte sur les conditions de vie de femmes considérées comme des ressources à exploiter pour leur famille et leur pays. Grace est une fiction, mais la force de son dire est considérable, laissant souvent le lecteur sidéré par l’enfer qu’elle décrit avec d’autant plus de force que le ton est sobre. La violence exercée sur le corps des femmes n’est pas nouvelle, mais pour Grace, qui n’a pas oublié le Cantique des Cantiques, un chemin de beauté reste possible entre hommes et femmes. Dans ce livre à la douloureuse lumière, « tout est vrai parce que tout est faux ». Comme au bois. Comme lorsque la vie parvient à traverser la mort.