Michel Thévoz
L’Art suisse n’existe pas Les Cahiers dessinés, 240 p., 20 euros
Ancien conservateur de la Collection de l’Art Brut à Lausanne et proche de Jean Dubuffet, Michel Thévoz est l’auteur de nombreux essais souvent provocateurs. C’est à la suite de la devise « La Suisse n’existe pas », formulée en 1992 par Ben pour le pavillon suisse à la Biennale de Venise, qu’il a intitulé son livre l’Art suisse n’existe pas. Certes, les artistes qu’il mentionne au fil des pages sont tous des Suisses et, pour la plupart, des Suisses morts : lire le commentaire final sur l’oeuvre éponyme de Christian Boltanski. Mais la Suisse a-t-elle une identité ? Elle se caractérise par une « absence de principe unificateur ». L’« art suisse » est un oxymore pour Thévoz : « Suisse » suggère sécurité, prospérité, respectabilité… alors que l’art est ce qui déroge aux normes. Cette galerie de portraits d’artistes, anciens comme Holbein – déjà postmoderne, car on peut faire une lecture warholienne de sa vanitas –, pompiers (Charles Gleyre) ou modernes comme Le Corbusier (le peintre plutôt que l’architecte), contemporains (le conceptuel JeanPierre Zaugg, Émilienne Farny), illustre l’idée problématique, non pas d’une absence d’art suisse, mais d’une manière qu’a l’art suisse d’« inexister ». Le livre est une succession d’essais pertinents et engagés où l’on retrouve aussi Ferdinand Hodler, qui fit scandale, Félix Vallotton – remarquables études de nus – ainsi qu’un Louis Soutter qui a « réussi son échec ». L’art « brut » est absent, même si la « photographie existentielle » de Mario Del Curto, qui le documente, trouve sa place au milieu des artistes. Thévoz identifie un « syndrome de suissitude associant le mutisme, l’exubérance de mort, la collusion de l’art et du business et le perfectionnisme technique ». Il formule cette exigence : apprenons à inexister !