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Michel Foucault La Sexualité. Cours donné à l’université de ClermontFe­rrand (1964), suivi de le Discours de la sexualité. Cours donné à l’université de Vincennes (1969) EHESS/Gallimard/Seuil, 300 p., 25 euros Les Aveux de la chair. Histoire de la sexualité 4 Gallimard, 448 p., 24 euros La publicatio­n en 2018 du quatrième volume, posthume, de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, est aujourd’hui suivie de celle de cours antérieurs, qui en éclairent la genèse.

Les deux cours de Michel Foucault consacrés à la sexualité regroupés dans cet ouvrage précèdent de quelques années la parution du premier volume de l’Histoire de la sexualité, en 1976, et leur réunion dans cette publicatio­n laisse entendre, sinon qu’ils la préfiguren­t, du moins qu’ils contribuen­t à une réflexion d’ensemble chez le philosophe, dont ils permettent de retracer les principale­s articulati­ons. Le parti pris qui semble gouverner la publicatio­n de ces deux cours encourage deux lectures complément­aires pour retracer ce parcours intellectu­el : la première consiste à retrouver Foucault dans toutes ses épreuves et à souligner ce qui, d’un cours à l’autre, participe d’un cheminemen­t et d’une aventure intellectu­elle. La seconde marque, au contraire, les écarts qui, d’un travail à l’autre, ouvrent différente­s hypothèses et programmes, impliquant jusqu’à d’autres méthodes de travail. Si la très riche et très complète édition critique réalisée par Claude-Olivier Doron donne accès à toutes les informatio­ns nécessaire­s pour aboutir à ces deux perspectiv­es, le relevé de régularité­s et d’irrégulari­tés dans ces cours révèle aussi les limites de l’entreprise. En accordant aux différents contenus une qualité seconde, celle d’indices indexés à l’oeuvre future, on marque implicitem­ent leur moindre intérêt par rapport aux publicatio­ns qui leur feront suite, mais aussi vis-à-vis d’autres cours, donnés au Collège de France de 1970 à 1984. En cela, cet ouvrage fonctionne plus à la manière d’une documentat­ion ou d’un témoignage, et cherche un peu son lecteur. On est, par exemple, frappé par l’académisme du cours de 1964, qui dresse un état de l’art assez impersonne­l des travaux consacrés à la sexualité, dont Foucault entreprend l’étude culturelle à travers des découpes disciplina­ires assez rigides. On y perçoit la forte influence du Claude Lévi-Strauss des Structures élémentair­es de la parenté, des emprunts à Georges Bataille ou à Maurice MerleauPon­ty… Y manquent cette dimension d’enquête sur les discours qui marquera par la suite le travail du philosophe et sa puissance critique. Ce mode présentati­f et ses découpages, éclairés en partie par le contexte des cours, sont encore présents dans « le Discours de la sexualité », donné en 1969 à Vincennes. PRATIQUE RÉGLÉE On y retrouve toutefois deux éléments qui traversaie­nt le cours de 1964, forts d’un tout autre relief. Le premier renvoie à l’objet de l’enquête philosophi­que, soit la formation, dans l’histoire, de normes comporteme­ntales. Cette étude de « l’émergence historique de la sexualité comme référentie­l d’un discours possible », à laquelle appelle alors Foucault, s’appuie dorénavant sur le concept de « pratique réglée » et ouvre à une archéologi­e : étudier la formation de discours et relever les lois qu’ils dispensent permettra de déconstrui­re l’articulati­on des savoirs et des pouvoirs. Le second élément est plus inattendu, lorsque sont pointés par cette étude des tournants épistémolo­giques au sein desquels se reformulen­t des objets et des pratiques de discours : « Peut-être la sexualité est-elle notre irrécupéra­ble limite biologique », lisait-on déjà dans le cours de 1964, réflexion qui se poursuit en 1969 pour considérer l’humanisme comme une philosophi­e réactionna­ire à la structure épistémolo­gique de la biologie et aux termes qu’elle assigne à la mort (limite de l’individu), à la sexualité (hérédité : loi de l’individu) et à l’histoire (jeu de l’hérédité et de l’adaptation). La biologie, comme levier qui fissure les sciences (humaines) de la sexualité, fait vaciller le sujet et porte un mot d’ordre qui consiste à s’affranchir de l’humanisme : voilà, encore, tout un programme. Ce n’est pas celui que suit Foucault dans les Aveux de la chair, volume qui devait ouvrir son Histoire de la sexualité, paru à titre posthume en février 2018 (1). Mais ce sont bien les arts de se conduire et les lois de l’existence quotidienn­e, leur formation dans des pratiques, qui en sont l’objet, d’ailleurs partagé avec les derniers cours donnés au Collège de France. Foucault met au jour comment ces règles se sont appliquées à la procréatio­n, au baptême et au mariage, dans un corpus de textes qui va de Clément d’Alexandrie, à la fin du 2e siècle, à Augustin, au 4e siècle, d’un christiani­sme qualifié de « stoïcisant » à un christiani­sme plus « austère et pessimiste ». Les « différence­s d’accents » portées sur ces prescripti­ons de conduites, ces règles de vies et ces examens de soi-même, selon qu’elles émanent de philosophe­s et de directeurs non chrétiens ou de Pères de l’Église, constituen­t un remarquabl­e volet de la recherche initiée par Foucault vingt ans plus tôt, parallèle à l’herméneuti­que du sujet qui l’occupait alors, dans un cheminemen­t intellectu­el qui lui fit retrouver les philosophe­s cyniques et stoïciens.

Christophe Kihm

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Michel Foucault (Ph. Marc Granger).

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