Jacques Aumont
Fictions filmiques Vrin, 180 p., 9,80 euros
C’est à travers un éloge de la fiction, de sa perméabilité au réel, de sa puissance de métamorphose et de sa méthode d’organisation et d’explication du monde que Jacques Aumont dessine les contours actuels du cinéma. Dans la continuité de Que reste-t-il du cinéma ?, il propose une réponse limpide aux sentences qui décrètent ce médium en crise alors que son assise, la fiction, semble s’effriter et qu’il voit sa définition se diluer dans un élargissement continu à de nouvelles pratiques numériques, interactives et muséales. Pas d’oraison funèbre donc, mais le rappel, servi par une érudition impressionnante, qu’entre le cinéma et la fiction, il s’agit bien d’une histoire d’amour passionnelle malgré de passagères infidélités. L’occasion pour Aumont de faire le point sur les rapports complexes du réel et de la fiction, au-delà du binarisme schématique qui oppose réalité et imagination, documentaire et histoire, pure apparition du réel et fabrication d’un monde. L’un ne va pas sans l’autre, le cinéma en est la preuve. Même au comble du naturalisme, ce qui se déroule sous les yeux du spectateur est un « artifice conscient et maîtrisé ». La mise en intrigue ne laisse jamais le contenu indemne : cette conscience et cette maîtrise sont un plaisir de plus pour le spectateur qui se prête au jeu. Pour Jacques Rancière, « le réel doit être fictionné pour être pensé ». Si une des fonctions majeures du cinéma est de permettre à l’homme de (se) raconter des histoires, c’est aussi parce qu’il puise sa force dans ce qu’Aumont appelle la « valeur d’affirmation de l’oeuvre fictionnelle ». Conclusion revigorante qui ne peut que nous faire aimer l’art de la fiction. Surtout quand elle autorise Aumont à revisiter les films de Hong Sangsoo en convoquant Buñuel.
Alix Agret