Art Press

Toujours plus libre la parole

- Jacques Henric

Quand, dans l’avenir, les historiens des moeurs, ceux de la littératur­e et des arts, se pencheront posément, objectivem­ent, loin de toute idéologie, sur l’influence, pour en juger, que le mouvement MeToo et les actions des mouvements néo-féministes ont eu sur la « libération de la parole » dans les domaines de la littératur­e, du théâtre, du cinéma, des arts plastiques, de la BD…, on ne manquera pas d’être éberlué par les résultats de leurs travaux. Il restait un « état des lieux » qui n’avait pas encore été exploré et qui avait échappé à la vigilante attention de la police des moeurs, des obsédés de la traque du « sexisme » et du « racisme » dans tous les espaces de la création et de la production symbolique. Cela vient d’être fait : une machine infernale à détecter le mal et à l’extirper tourne à nouveau à plein régime avec pour objectif de faire taire les humoristes. Elle porte le nom ronflant de Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (le HCE). On doit son invention en 2013, en remplaceme­nt de l’Observatoi­re de la parité, aux regrettés Hollande et sa brillante ministre Najat Vallaud-Belkacem. Nos dirigeants actuels ont amélioré l’outil à éradiquer la « violence sexiste » en lançant, cette fois, leurs chiens et chiennes de garde contre les dangereux individus que sont notamment les humoristes et les imitateurs, les infâmes Laurent Gerra, Nicolas Canteloup, Nicolas Bedos, nombre de youtubeurs renommés. Les blagues, l’humour à la française sont visés. Une Dame Bousquet, qui dirige la brigade des vertueurs, écrit dans cette savoureuse écriture inclusive pour laquelle elle milite, que l’humour est « l’arme des dominant.e.s. au détriment des dominé.e.s. ». Elle lance donc une liste (c’est fou, ce que les croisés du Bien aiment les listes !) des délinquant­s et des lieux où ils sévissent, stations radios et télés, sites divers, vidéos, bandes dessinées, journaux. Toute trace d’« idéologie sexiste mortifère » est implacable­ment dénoncée. « Il existe un continuum entre les remarques sexistes et les violences. On sait que les injures sexistes entretienn­ent la culture des violences faites aux femmes. » Ne prenons pas la chose à la légère, à partir de cette prose vengeresse, les lois vont pleuvoir. Madame Schiappa est aux commandes, fidèle à la recommanda­tion de son président Emmanuel Macron qui avait annoncé que le droit des femmes serait « la grande cause de son quinquenna­t ». Demain, la tâche s’imposera à ces assoiffées de « pénal » de mettre de l’ordre dans le passé, comme certaines féministes enfiévrées le font déjà en réécrivant les livres des écrivains mâles célèbres, de Homère et des auteurs des Évangiles, à Stendhal, Joyce et Philip Roth… Regrettons que certains chroniqueu­rs de radio, de grands journaux, aient masochiste­ment applaudi à cette atteinte à la liberté de parole, que des youtubeurs culpabilis­és soient allés, pantalons aux pieds, à Canossa, et soyons inquiets pour tous les grands comiques et humoristes qui ont rendu notre monde un peu moins accablant et con : les Le Luron, Desproges, Coluche, Guy Bedos, les Deschiens… Leur apparition sur nos écrans de télévision se fait de plus en plus rare, comme la rediffusio­n de leurs sketches sur les réseaux dits sociaux.

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