BILBAO
Architecture Effects Musée Guggenheim / 5 décembre 2018 - 29 avril 2019
1989 ou la chute du mur, 1993 et l’arrivée du Web, les attentats du 11 septembre 2001: toutes ces dates marquent le moment où la civilisation devient mondiale et standardisée. Anniversaire oblige, le Guggenheim Bilbao fêtait ses 20 ans au moment où les deux conservateurs, Manuel Cirauqui (Guggenheim Bilbao) et Troy Conrad Therrien (Guggenheim New York) ont conçu le projet de cette exposition. 1997 est donc pour eux l’année-clé. Au-delà de l’implantation forcée d’un musée privé dans une ville sinistrée par l’abandon des chantiers navals, le musée de Frank Gehry a valeur d’effet pour sa forme déconstruite, et valeur de symbole quant à sa conception assistée par ordinateur grâce au fameux logiciel Catia. S’appuyant sur cet exemple, les commissaires proposent une grille d’analyse et des indices pour comprendre l’autodestruction programmée dans laquelle l’architecture s’est lancée à partir de 1997. Comme le dit Cirauqui : « Comment l’architecture est-elle devenue un art de la performance à l’ère conjuguée de l’anthropomorphisme et du posthumanisme? » Dans l’antre titanesque, Architecture Effects est située dans un recoin, derrière les ascenseurs, comme si l’exposition était délibérément cachée. Elle n’est pas même signalée sur l’immense billboard de l’entrée. Au bout d’un couloir serré, le regard est attiré par des lignes rouges encadrant des livres ou des affiches, le tout collé à un plafond creusé en forme de pyramide tronquée. Des évocations du clone Dolly, de la défaite de Garry Kasparov face à Deep Blue, de Terminator 2, etc., sont disposées comme des offrandes qui assureraient la protection magique des boîtes noires remplies des plans du Guggenheim. Cet ensemble, « L’Airlock », fait office de matrice conceptuelle pour le grand espace contigu nommé « Le Jardin », où les oeuvres de Didier Faustino ( A Home Is Not a Hole, 2016), MOS Architects ( Primitive Hut N°1, 2018), Nina Canell ( Shedding Sheaths (H), 2015), MAIO Architects ( Floating Columns, 2015), d’Oliver Laric ( Betweenness, 2018), Leong Leong ( Float Tank 01, 2018), entre autres, sont disposées telles des balises. Entre micro-architectures, sculptures, reliques d’un monde post-Internet, ces différents médiums d’échelles diverses nous disent à quel point le corps humain – le corps physique – constitue aujourd’hui le dernier rempart à la dématérialisation généralisée. Mais pour combien de temps? À la sortie, le visiteur affronte de nouveau le monde tout en sachant que ses dimensions matérielles et physiques sont en train de se noyer dans un maelström où des courants opposés, tels que algorithmes et rituels magiques, s’affrontent. Ils font dire à Therrien : « Les jours de l’ordre vitruvien sont comptés. » Architecture Effects laissera-t-elle une trace aussi indélébile que Deconstructivist Architecture (1988, MoMA)? Validera-t-elle la migration définitive de l’architecture vers les arts visuels, laissant l’industrie du BTP régner en maître sur la construction?
Christophe Le Gac
——— 1989 and the fall of the wall, 1993 and the arrival of the Web, 9/11 in 2001: all these dates mark the moment human civilization became global and generic. Because the Guggenheim was celebrating its 20th anniversary when this exhibition was conceived, its two curators, Manuel Cirauqui and Troy Conrad Therrien, considered 1997 the key year, the turning point. Beyond the forced installation of a private museum in a city devastated by the closure of shipyards, Frank Gehry’s Guggenheim is of value for its deconstructed form and as a monument to its computer-aided design, using the famous Catia software. Aware of this context, the curators have tried to offer visitors an analytical grid and clues to understand that architecture launched in 1997 into programmed self-destruction. As Cirauqui puts it: “How has architecture become a performance art in the era combining anthropomorphism and posthumanism?” In the titanic den, Architecture Effects is located in a nook, behind the lifts, as if the exhibition seems deliberately hidden. Moreover, it isn’t indicated on the huge billboard at the entrance. At the end of a narrow corridor, the eye is drawn by a succession of red lines, books, posters, the whole glued to the ceiling in the shape of a truncated pyramid. The clone Dolly, Garry Kasparov’s defeat playing chess against Deep Blue, Terminator 2, etc., are arranged like offerings to provide magical protection of the black boxes filled with the plans of the Guggenheim. This set, The Airlock, serves as a conceptual matrix for the large contiguous space named The Garden, where the works of Didier Faustino ( A Home Is Not a Hole, 2016), MOS Architects ( Primitive Hut No. 1 , 2018), Nina Canell ( Shedding Sheaths (H), 2015), MAIO Architects ( Floating Columns, 2015), Oliver Laric ( Betweenness, 2018), Leong Leong ( Float Tank 01, 2018), among others, are arranged like beacons. Between micro-architectures, sculptures, relics of a postinternet world, these different media with multiple scales are meant to tell us how much the human body – the physical body – is today the last rampart against generalized dematerialization. But for how long? Upon leaving, each visitor faces the world again knowing that its material and physical dimensions are drowning in a maelstrom where opposing currents such as algorithms and magic rituals clash and causeTherrien to say: “The days of the Vitruvian order are numbered.” Will Architecture Effects leave as indelible a trace as Deconstructivist Architecture (1988, MoMA)? Will it validate the definitive migration of architecture to the visual arts, leaving the building industry to reign over construction?