DOUCHY-LES-MINES / PARIS
Boris Mikhaïlov
Centre régional de la photographie et Galerie Suzanne Tarasieve / 8 décembre 2018 - 24 février 2019 et 9 février - 9 mars 2019 L’oeuvre de Boris Mikhaïlov n’est pas facile à appréhender dans sa globalité. Impossible d’avancer quelque chose à son propos sans être contredit par un autre aspect du travail. C’est ainsi que l’on passe du sérieux documentaire au kitsch et à la bouffonnerie, de la truculence à la nostalgie... L’artiste semble à la recherche, dans chacune de ses séries, de formes insaisissables de la vérité. Cette recherche va d’ailleurs jusqu’à imaginer la possibilité (ou non) de faire des photographies du passé, celles qui n’ont pas été faites à cette époque. D’où l’idée d’un « portrait soviétique collectif », un passé fictif donc, auquel se mêlent passé et présent réels. La vérité et, plus largement, la réalité se désagrègent sans cesse. Il y a bien quelque chose de ludique et de profondément ironique dans ce jeu, dans cette manière de passer du collectif à l’intime et inversement. Le soviétisme, c’est ce qui est moyen, ce qui survit aux franges du grotesque et du kitsch. Et il n’y a pas de meilleur indice de cet état de choses que le corps pris dans les systèmes qui le contraignent – le soviétisme, mais aussi la misère capitaliste et la déchéance qu’elle induit. La série Case History, montrée au Centre national de la photographie en 1999, est le grand opéra de la misère après la fin de l’ère soviétique ; bien sûr, tout est faux, les figurants sont choisis et rémunérés, mais l’impact reste sidérant. Mikhaïlov a souligné à maintes reprises qu’il ne fallait surtout pas associer son oeuvre à ce qu’on a appelé « photographie plasticienne », celle des Thomas Ruff, Thomas Struth et autres Andreas Gursky – une photographie tentée par la « forme-tableau », plus proche de la peinture à bien des égards. Il n’est pas pour autant adepte d’une photographie « pure ». Il lui arrive de repeindre ses clichés (aussi bien ceux dont il est l’auteur que ceux, anonymes, qu’il s’approprie), ou de les superposer (comme dans Yesterday’s Sandwich, 2006). Ces références à la peinture et à l’architecture de son temps ne sont d’ailleurs pas ce qu’il y a de plus convaincant chez lui, à l’e xception de ce qui concerne le so ts art, version soviétique du pop art, dont il utilise les ressources humoristiques et analytiques pour construite et mettre en scène un véritable sujet social. Publié en 2011 aux Presses du réel, mais t oujours d’actualité, Boris Mikhaïlov. J’ai déjà été ici un jour de David Teboul résulte pour l’essentiel du travail effectué pendant la préparation du film qu’Arte a consacré à l’artiste, ainsi que pendant le tournage de Dau, ensemble de films d’Ilya Khrzhanovsky. Il s ’agit d’un long entretien qui permet à la f ois une vision chronologique et des allers et retours incessants au fil de sa mémoire et de sa pensée. Il en résulte un amalgame que l’artiste résume ainsi : « En mélangeant le passé fictif avec le passé et le présent réels, on parvient à un total, à une combinaison représenta tive de l’époque, à laquelle on peut relier le moment présent. »
Régis Durand
——— The work of Boris Mik hailov isn’t easy to comprehend in its entirety. Impossible to advance something about it without being contradicted by another aspect of the oeuvre. This is how we move from serious documentary to kitsch and buffoonery, from truculence to nostalgia. The artist seems to be searc hing, in each of his series, for elusi ve forms of t ruth. This quest goes as far as imagining the possibility (or not) of making photographs of the past, those that were n’t taken at that time. Hence the idea ofa “collective Soviet portrait”, a fictitious past, in which real past and present mingle. Truth and, more broa dly, reality are constantly breaking down. There is something playful and deeply ironic in this interplay, in this w ay of mo ving from the collective to the personal and vice versa. Sovietism constitutes the average, what survi ves on t he fringes of the grotesque and the kitsch. And there is no better clue to this state of affairs than the body caught in the systems that constrain it – Sovietism, but also capitalist misery and the degeneration it induces. The Case History series, shown at the National Centre of Photography in 1999, is the grand opera of misery after the end of the Soviet era; of course everything is fake, the extras chosen and paid, but the impact remains staggering. Mikhailov has repeatedly emphasized that one shouldn’t associate his work with what has been called “plastic photography”, that of the likes of Thomas Ruff, Thomas Struth and Andreas Gursky – a photography tempted by the “tableau-form”, closer to painting in many ways. Mikhailov isn’t however a follower of a “pure” photography. He sometimes repaints his shots (both those he authored and those, anonymous, he appropriates), or superimposes them (as in Yesterday’s Sandwich, 2006). These references to the painting and architecture of his time aren’t by the way what is most convincing with him, with the exception of his Sots d’Art series, a Soviet version of pop art, of which he uses humorous and analytical resources to construct and stage a real social subject. Published in 2011 in Presses du Réel, but still relevant, Boris Mikhailov, I Was Here Before One Day by David Teboul is the result of the work done during the preparation of the film that Arte dedicated to the artist, as well as during the shooting of Dau, a set of films by Ilya Khrzhanovsky. It is a long interview that allows both a chronological vision and incessant toing and froing over his memory and thought.The result is an amalgam that the artist summarizes as follows: “By mixing the fictitious past with the real past and present, we come to a total, a representative combination of time, to which we can relate the present moment.”