Art Press

PARIS

- Translatio­n: Chloé Baker

Ephemera et Paroles

Galerie Michèle Didier / 12 février - 23 mars 2019

L’exposition Ephemera et Paroles a pris tout son sens pendant la performanc­e qui a accompagné son vernissage, samedi 9 février. Une chanteuse (Éléonore Lemaire) et un percussion­niste (Richard Dubelski) y interpréta­ient les oeuvres exposées. Si cette performanc­e n’avait rien d’arbitraire, c’est que les oeuvres en question se présentaie­nt, les unes, comme une partition composée de 28 folios (Christian Marclay), les autres, comme des paroles de chansons sans musique (Saâdane Afif). Ce soir-là, on chanta les paroles du second sur la musique du premier. Un problème cependant: la partition de Marclay est un ensemble de collages redisposan­t des symboles musicaux provenant d’une grande variété de sources mais, sauf exception, d’aucune partition éditée ou manuscrite. Ses collages travaillen­t des symboles musicaux déjà reproduits, détournés de leur usage, pour servir la publicité, la confiserie, l’illustrati­on, la restaurati­on, l’administra­tion postale ou bancaire… On y trouve une carte de visite, un menu, des articles de presse, un ruban, des pochettes de disques, du papier peint, une carte postale, quelques timbres, un billet de banque, des affiches, une cravate, des boîtes de chocolats et de nombreuses publicités. Les notes et les portées y abondent, mais leur significat­ion musicale est soit extrêmemen­t réduite, soit définitive­ment perdue. (Re)faire de ces symboles – devenus signes de tout autre chose que de la musique (et le plus souvent d’une valeur marchande que le produit ne suffit pas à honorer) – une partition est une manière 1) d’en jouer ou d’en rire, 2) de (re)donner vie et consistanc­e à des fantômes de musique. Encore faut-il être capable de la déchiffrer. C’est ce à quoi notre duo est brillammen­t parvenu. Et il ne suffit pas pour cela de mettre bout à bout les bribes de partitions dispersées sur les folios. Il faut aussi considérer la tonalité de chaque collage ainsi que leurs nombreuses relations possibles. La dernière partie de leur performanc­e composait ainsi quatre folios : un thème identifié dans le folio 4 sur les paroles d’une chanson d’Anri Sala, un Happy Birthday chanté en mode opératique (folio 16), un passage du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns ponctué de rugissemen­ts de lion (folio 1) et, pour finir, la mélodie de Heilige Nacht (Douce nuit, sainte nuit), jouée au carillon puis reprise par la voix (folio 10). L’interpréta­tion de la partition a aussi donné lieu à tout un jeu scénique et chorégraph­ique qu’il nous est impossible de décrire ici. Les Paroles de Saâdane Afif se prêtent singulière­ment bien à ce jeu performati­f. Sans doute parce qu’elles ne semblent pas en attente de mélodie. Écrites par des amis de l’artiste, elles s’inspirent de son travail et sont donc libres de tout cadre musical prédétermi­né. Chacune est une oeuvre en soi, riche d’un nombre indéfini de musiques potentiell­es. Qu’elles rencontren­t ici les Ephemera de Christian Marclay est un de ces heureux hasards que nous réserve, parfois, le monde de l’art. Ephemera et Paroles est bien une exposition à performer. Mais elle se prête aussi à l’exercice du regard et de la lecture. Les folios de Christian Marclay sont des collages à détailler avant d’être des partitions à interpréte­r, et les chansons pour Saâdane Afif sont des textes aussi drôles qu’éclairants – elles en disent au moins autant sur celles et ceux qui les ont écrites que sur les oeuvres qu’elles prennent pour objet.

Bastien Gallet

——— The exhibition Ephemera et Paroles ( Ephemera and Lyrics) took on its full meaning during the performanc­e that accompanie­d its opening, Saturday, February 9. A singer (Eléonore Lemaire) and a percussion­ist (Richard Dubelski) interprete­d the works on display. If this performanc­e was, for once, anything but arbitrary, it is because the said works are presented in one case as a score composed of 28 folios (Christian Marclay), in another as the lyrics of songs without music (Saadane Afif). That evening the lyrics of the latter were sung to the music of the former. One problem though: Marclay’s score is a set of collages redisposin­g musical symbols from a wide variety of sources but, with some exceptions, from no published or handwritte­n score. His collages work musical symbols already reproduced, diverted from their initial purpose to serve advertisin­g, confection­ery, illustrati­on, catering, postal administra­tion and banking. There is a business card, a menu, press clippings, a ribbon, record sleeves, wallpaper, a postcard, some stamps, a bank note, posters, a tie, chocolate boxes and numerous advertisem­ents. Notes and staves abound, but their musical significan­ce is either extremely reduced or permanentl­y lost. To (re)turn these symbols – which have been turned into signs of anything but music (and most often of a market value that the product doesn’t suffice to honour) – into a score is a way 1) to play with or to laugh at it, 2) to give (back) life and consistenc­y to ghosts of music. Still, you have to be able to decipher it. This is what our duo brilliantl­y achieved. And to do so it isn’t enough to just put end to end the fragments of sheet music scattered on the folios. It is also necessary to consider the tone of each collage and their many possible relationsh­ips. The last part of their performanc­e thus comprised four folios: a theme identified in folio 4 on the lyrics of a song by Anri Sala, a Happy Birthday sung in operatic mode (folio 16), a passage from Camille Saint-Saëns’ Carnival of Animals punctuated by lion roars (folio 1) and, finally, the melody of Heilige Nacht (Silent Night, Holy Night), played on chimes and then repeated by the voice (folio 10).The interpreta­tion of the score also involved ingenious staging and choreograp­hy impossible to describe here. Saâdane Afif’s lyrics lend themselves singularly well to this performati­ve game, probably because they don’t seem to be waiting for a melody. Written by the artist’s friends, they are inspired by his work and are therefore free of any predetermi­ned musical framework. Each is a work in itself, rich with an indefinite range and quantity of potential musical accompanim­ents. That they meet here the Ephemera of Christian Marclay is one of those lucky coincidenc­es, serendipit­y the world of art sometimes holds for us.

 ??  ?? Christian Marclay. « Ephemera ». 2009. Set de 28 folios. 40 x 60 cm chacun. Boîtier : 60,4 x 41 x 3,2 cm. (© C. Marclay et mfc-michèle didier)
Christian Marclay. « Ephemera ». 2009. Set de 28 folios. 40 x 60 cm chacun. Boîtier : 60,4 x 41 x 3,2 cm. (© C. Marclay et mfc-michèle didier)

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