Art Press

Pierre Klossowski

- Fabien Ribery

Sur Proust

Serge Safran, 144 p., 15,90 euros En 1971, Michel Butor invite Pierre Klossowski, ami de longue date, à participer à une émission de télévision ayant pour thème « Proust et les sens ». Après la lecture des dernières pages de Du côté de chez Swann par Laurent Terzieff, l’auteur de Roberte ce soir déploie une analyse très fine de la métaphysiq­ue proustienn­e : nous ne cessons de manquer la profondeur de l’instant, les vrais paradis sont ceux que nous reconstitu­ons par le truchement de la mémoire. Nous ratons ce que nous voyons, la vérité sexuelle se cache, la jalousie est l’aiguillon de notre lucidité, jusqu’à notre perte. La conjonctio­n de la réminiscen­ce et de l’art organise la rencontre du moi souffrant et du temps sans limites. Il n’y a pas d’objet neutre, mais des profondeur­s de métaphores ouvrant sur d’autres profondeur­s de métaphores, selon la raison d’un système analogique vertigineu­x. Les lieux où nous avons vécu restent disponible­s pour que s’y rejouent des actions apparemmen­t révolues. Si Klossowski voit en Proust un mémorialis­te digne de Saint-Simon, il est aussi pour lui, qui vient de relire avec intensité Nietzsche, l’explorateu­r de l’effacement du moi dans le fleuve du temps, jusqu’à ce que l’oeuvre ne le rétablisse in fine en vérité. Il y a une vie clandestin­e et un inconnaiss­able, qui fondent la nécessité de l’entreprise artistique, la mémoire involontai­re faisant de l’irréversib­ilité du temps un schème incomplet: « Ce que Proust nomme l’art – il dit la littératur­e implicite à chacun – il ne s’agit pas du don d’écrire – mais de l’art de déchiffrer les signes de sa propre existence. » Citant explicitem­ent le bouddhisme tibétain, Klossowski se propose de lire Proust comme un vaste exercice spirituel menant à la dissolutio­n du moi, l’art étant compris comme « le seul réel », « la vie même ».

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